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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/164

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personnelles aux nécessités de l’État. Il y en a qui disent, dans le service de l’État, qu’ils ont leur conviction, qu’ils ne peuvent agir autrement, dût l’État périr. C’est comme s’ils jetaient l’enfant avec l’eau du bain. Des évêques révolutionnaires, érigeant leur propre jugement au-dessus de la puissance législative, ont déchaîné une telle crise, que l’État doit faire une loi sur le mariage civil pour préserver une partie des sujets des maux dont ils sont menacés. » Ainsi Bismarck présentait comme une mesure de circonstance une loi qui introduisait une véritable révolution dans la vie civile de l’Empire. La politique de tracasserie contre les prêtres avait conduit la Prusse à bouleverser l’école primaire, puis à corriger la Constitution ; elle allait toucher aujourd’hui, avec regret et par contrainte, à ces bases mêmes de la famille auxquelles s’attachait avec ténacité le vieux protestantisme prussien. L’État voulait que l’Église changeât, qu’elle devînt ce qu’il lui plaisait qu’elle fût ; et c’était lui, État, qui dénaturait, peu à peu, les conditions fondamentales de sa propre existence, afin de rendre compatibles avec la vie du pays certaines lois qui systématiquement étaient incompatibles avec la vie de l’Église.

Ainsi l’exigeait l’entêtement de Bismarck. L’échec était visible. « Le mouvement catholique gagne du terrain, criait à Bismarck Edvvin de Manteuffel, nos coups d’épingle légaux agacent sans tuer. » Mais la Prusse, au lieu de s’en prendre à elle-même, s’en prenait à la France, ou bien à la Belgique. Si le clergé allemand résistait, c’était la faute, disait-on, au gouvernement de Bruxelles. Edwin de Manteuffel sonnait l’alarme ; il craignait que la Belgique n’abritât le général des Jésuites ; il signalait ce pays comme le centre de la résistance ; c’est là, déclarait-il, qu’il fallait porter le combat. On épluchait, d’autre part, dans les bureaux de Berlin, la dizaine de mandemens français qui, au cours de novembre 1873, avaient répété et commenté les griefs du Pape contre Bismarck, et l’on en distinguait deux, pour s’en plaindre. Ils étaient signés de l’évêque Freppel, d’Angers, et de l’évêque Plantier, de Nîmes. L’Angleterre seule apparaissait à Bismarck comme digne d’un témoignage de satisfaction ; là, du moins, Disraeli discourait contre Rome. La Gazette de l’Allemagne du Nord se réjouissait que « le pays d’Elisabeth et de Cromwell, sentant s’éveiller la conscience de sa vraie mission, » se rangeât à côté de Bismarck contre Pie IX.