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contemporaines, deux compatriotes, de familles semblablement illustres, d’égale beauté, d’égale jeunesse, de destinées parallèles, deux reines de l’art et des cœurs florentins aux années où ces cœurs battirent le plus fort et pour l’art le plus pur, peintes par les mêmes peintres, chantées par les mêmes poètes, pleurées par les mêmes fervens, brusquement emportées en plein éclat, en laissant sur l’océan des hommes deux sillages si longs de regrets et de larmes, qu’après plus de quatre cents ans, leur remous berce encore les cœurs des chercheurs et des naïfs. On les appelait, de leur temps, la Bella Simonetta ou, plus officiellement, Simonetta dei Cattanei épouse de Marco de’ Vespucci, et la Bella Vanna, ou officiellement Giovanna degli Albizzi, épouse de Lorenzo de’ Tornabuoni.

Quiconque a visité Chantilly connaît la première : un profil évaporé, le nez en l’air, l’œil vif, le front nu et rond comme un front d’oiseau, décrivant le hardi paraphe de sa frimousse en clair sur un nuage noir, rejetant derrière la tête un énorme paquet de tresses et de perles, pointant les seins nus, avec un serpent d’émail noir, qui ondule autour de la gorge éclatante, au loin des arbres, des collines et de l’orage, — quelque chose de joyeux, de piquant et de délibéré, une tête qui n’en fait qu’à sa tête, une reine de la mode à qui l’on ne dit pas : « Voilà ce qui se porte… » et qui s’habille, ou se déshabille, comme il lui plaît. Cela est peint sur un panneau de bois à la détrempe, par Pollajuolo, dit-on, et vraisemblablement entre 1469 et 1476, et acquis par le Duc d’Aumale en 1879. Il y a sur la bordure du tableau l’inscription Simonetta januensis Vespuccia. Voilà le premier rayon de soleil qui traversa Florence à la fin du XVe siècle.

Le second est au Louvre. Tout le monde devrait en avoir été touché, mais il est aux trois quarts éteint, étant tombé dans l’une des plus sombres solitudes de cette nécropole : la cage de l’escalier Daru, — et mis sous verre. Parfois une bande de touristes fourvoyés traverse ce Sahara froid. On frôle les murs nus, les bustes rechignes, les pierres mortes, et l’on s’en va sans se douter qu’on a passé à côté de deux destinées tendres et tragiques, rappelées en deux chefs-d’œuvre. Ce sont les fresques peintes par Botticelli sur les murs de la villa des Tornabuoni, près de Florence, pour célébrer le mariage de Giovanna degli Albizzi avec Lorenzo de’ Tornabuoni, en 1486. Longtemps