dissimulées sous la chaux, retrouvées en 1872, et apportées ici, tant bien que mal, en 1881, elles sentent l’exil. On imagine, aussitôt, ce que serait cette pellicule de peinture, si elle tenait encore au tronc vivant dont on l’a séparée et dont elle n’est plus aujourd’hui que l’écorce morte ; si on la voyait là-bas, sous le soleil de Toscane, à la villa Lemmi, au Pian di Mugnone, parmi les fleurs, quand le soleil glisse entre les fentes du rideau de cyprès, et tout ce qu’y mettraient nos regards si, avant de s’y poser, ils avaient recueilli les lueurs qui glissent au loin sur les rondes collines de Fiesole, sur la loggia aux fines colonnettes, sur les fenêtres quadrillées de fer, les plantes grimpantes, les roses. Ici, on sait qu’elle existe, qu’elle est célèbre, jusqu’à en être banale, mais on ne la jamais vue.
Pourtant, par un jour exceptionnellement clair, on peut, si l’on s’approche, distinguer, sous les reflets contraires du verre, une apparition étrange, comme une vapeur colorée qui aurait flotté sous ces hautes voûtes et qui se serait fixée, çà et là, par places… Ce sont des fantômes de femmes gracieuses : têtes virevoltant sur de frêles tiges, robes éteintes, couleur de fleur séchée ou de verdure toute neuve, développant dans une nature inopérante des gestes inefficaces. Une jeune femme haute, fine, et de mise presque austère, tend un linge comme elle tendrait son tablier, pour recevoir quelque chose que d’autres femmes, dont les manches sont des petits ballons, s’avançant vers elle, vont y jeter. Ce quelque chose est peut-être un fruit, peut-être une fleur, peut-être un sort. Celle qui reçoit ne semble pas très reconnaissante. Celles qui donnent ne semblent pas très généreuses. Ce sont sans doute des fées : il n’y a que des fées pour arriver ainsi à un mariage les mains vides. C’est sans doute une philosophe : il n’y a qu’une philosophe pour se vêtir si simplement l’année de ses noces et pour si peu considérer ce qu’on lui donne. — Ces dons ne sont pas seulement médiocres : ils sont inquiétans. L’une d’elles fait de la main gauche ce geste imprécis qui a vaguement l’air d’une protestation, que Botticelli met partout, mais qui n’a nulle part un sens défini, Elles n’ont pas l’air de croire qu’elles apportent quelque chose de très bon à la jeune épousée ; celle-ci ne le croit pas non plus. Son regard passe par-dessus les jeunes Destinées : elle a l’air distrait, absent, résigné à recevoir tout ce que ces femmes jettent dans son mouchoir. Et qu’y jettent-elles ?