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salle dite de la Tribune : la belle Simonetta, car tous l’avaient connue et qui ne l’avait pas pleurée ? Giovanna elle-même, d’ailleurs, et les yeux que nous voyons peints dans la fresque du Louvre ont plus d’une fois miré le profil que nous voyons dans le petit panneau de Chantilly, lorsqu’ils n’étaient encore que des yeux d’enfant… Mais tandis que la belle Vanna est fameuse par sa vie et a été l’objet de portraits définis, d’après nature, dans les costumes de son temps, si la belle Simonetta n’était pas morte, on douterait qu’elle ait vécu, je veux dire qu’elle ait été autre chose qu’un rêve : un rêve de poète et de peintre, ou qu’un symbole : le symbole d’une saison de l’année pu d’un moment de la sensibilité humaine, une rencontre d’art et d’âme que le monde ne connut qu’une fois. Ne vous est-il jamais arrivé d’assister à une fête où le soleil, la saison, la jeunesse, quelque artiste venu de loin, les avenirs entrevus, les amitiés formées, les communs souvenirs, composaient une harmonie si rare qu’on avait le sentiment, même si l’on n’était point versé dans le calcul des probabilités, que des années, des siècles passeraient avant que cet ensemble ne se rencontrât… Telle fut la venue de Simonetta dans le monde.

C’était en 1469. Il y avait un rajeunissement universel de la pensée et de l’art ; il y avait des statues sortant de terre, il y avait des carrousels éblouissans, il y avait de jeunes artistes dans le premier enthousiasme de la jeunesse : Botticelli avait vingt-cinq ans, Ghirlandajo avait vingt ans, Verrocchio avait trente-quatre ans. L’imprimerie paraissait pour la première fois en Italie. Un nouveau règne commençait à Florence. Les navigateurs voyaient poindre de nouveaux mondes au fond des mers. Les archéologues tiraient de terre des figures nouvelles. Le regard creusait deux horizons immenses : le nouvel