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hémisphère et l’antiquité. Il y avait la paix. Il y avait le printemps. Il y avait l’amour. Une femme vint alors, qui parut apporter tout cela dans les plis de sa robe, dans le déroulement doré de sa chevelure, dans le geste de ses dix doigts ouverts. Elle s’appelait Simonetta dei Cattanei. Elle avait seize ans. Elle était née à Porto Venere, près de Gênes, d’une grande famille de marchands, et venait d’être ramenée à Florence par un jeune Florentin qui avait seize ans comme elle et, comme elle, était d’une famille de grands marchands et de découvreurs.

Il s’appelait Marco Vespucci. Son cousin et camarade d’études, Amerigo Vespucci, devait un jour découvrir l’Amérique. Lui, il n’avait découvert que Simonetta, mais pendant un temps, sa découverte intéressa bien plus prodigieusement Florence. C’était aussi un monde nouveau qu’il ramenait avec lui : c’était la Renaissance faite femme, la nymphe antique qui respirait, qui marchait, qui parlait une langue de fantaisie et de liberté. Elle la parlait à tous ces commis et à ces clercs mal lavés encore de toutes les crasses scolastiques, encore un peu ahuris des terreurs du moyen âge. Les âmes se détendirent comme après une longue contrainte. Les chaînes tombèrent. Sur la cire, molle encore, de son imagination, Botticelli reçut l’empreinte idéale qui ne devait plus jamais s’effacer.

On était au moment précis où deux frères, deux jeunes gens, savans et poètes tous les deux, montaient sans bruit sur un trône invisible et commençaient, insensiblement, de régner : Laurent de Médicis, dit « le Magnifique, » et Julien de Médicis qu’on eût pu appeler, lui aussi, « le penseur. » Dès qu’ils virent paraître celle qu’on appelait « l’étoile de Gênes, » les deux frères furent éblouis, la suivirent d’une admiration qui ne devait cesser qu’à la mort. Elle dura sept ans. Pendant ces sept ans, Simonetta préside à toutes les fêtes que donnent les Médicis, dans leur palais de la Via Larga (aujourd’hui palais Riccardi) dans leurs villas de Careggi, de Fiesole, de Cafaggiuolo ; elle répand sa gaieté dans tous les cœurs. Laurent en est distrait par les affaires de l’État, mais Julien ne la quitte plus. Il est partout où elle est, perdu dans son rêve d’amour, — rêve trop connu, trop public, trop chanté par les poètes, trop symbolisé par les peintres, — et trop peu décrié par les femmes, — pour avoir été autre que platonique. Le mari, Marco Vespucci, apparaît peu dans tout cela, mais qu’importe le mari d’un symbole ?