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Pendant seize ans, elle tient l’emploi bizarre de régente dans une république. Femme d’une sorte de président, capo della republica, toujours vacillant, mère de deux candidats à cette présidence ; elle fait une sorte d’interrègne. De la mort du vieux Cosme à la majorité de son fils Laurent, ce sont ses fortes mains qui retiennent le pouvoir. Son mari règne, elle gouverne, et à la mort de son mari, dans la nuit qui suit les obsèques, si les chefs de la Cité décident de remettre le pouvoir à ses fils, c’est parce qu’elle est à côté d’eux. « Elle est l’homme de la famille, » disait le vieux Cosme. Et tout cela, elle l’est sans bruit, sans faste, sans titre officiel, à peine visible, et, — comme dans cette fresque même, — toujours au second plan.

Ce second plan, il est facile à une femme de s’y tenir, quand il s’agit de ces tableaux de la grande histoire où combattent les hommes, et l’on a vu, maintes fois, des reines descendre les degrés du trône avec une grâce incomparable. Il lui est bien plus malaisé de s’y résoudre quand il s’agit de ces tableautins domestiques, de ces scènes de genre qui composent ce qu’on appelle la « vie de famille. » C’est là que Lucrezia de Médicis est d’une modestie admirable. Elle conseille son mari, elle attache des cliens à la cause des Médicis, elle choisit une femme pour son fils ; mais dans toutes ces œuvres ménagères, elle demeure aussi déférente vis-à-vis du chef de la famille qu’active et décidée. On a, d’elle, des lettres qui nous redessinent la physionomie aperçue à Santa Maria Novella, sans y changer un seul trait. Lisez ceci qu’elle écrit de Rome à son mari, en mars 1467 :

« Jeudi matin, comme j’allais à Saint-Pierre, j’ai rencontré Mme Madeleine Orsini, la sœur du cardinal, ayant avec elle sa fille âgée de quinze ou de seize ans. Celle-ci était habillée à la romaine, avec un grand voile blanc, un lenzuolo, et elle m’a paru, dans cette toilette, très belle, blanche et grande ; mais comme elle était toute couverte par ce voile, je n’ai pu la voir à mon aise. Le hasard a fait qu’hier, j’allais rendre visite audit Mgr Orsini, lequel était dans la maison de sa sœur déjà nommée, laquelle maison communique avec la sienne propre. Quand j’eus fais de ta part la visite nécessaire à Sa Seigneurie, sont survenues sa sœur et la fille de sa sœur, qui était en robe serrée à la romaine et sans lenznolo. Nous sommes restées un long temps à discourir, et j’ai pu bien examiner la jeune fille. Comme je l’ai dit, elle est