régiment de Soissonais et il était fort impatient de faire acte de soldat au service de la cause qu’il avait choisie. « Le sort, dit-il, semblait avoir décidé que guerrier je ferais une longue campagne sans batailles, qu’officier de terre je n’assisterais qu’à un combat de mer, que courant après l’ennemi, je le trouverais en retraite et renfermé dans des forteresses inabordables, et que voyageur je serais forcé de toujours courir d’un lieu à un autre, du nord au midi, de la zone froide à la zone torride, sans m’arrêter dans aucun des endroits qui pouvaient le plus exciter ma curiosité. » Ce qui devait laisser un regret à cet ardent jeune homme tourne à notre profit. A quelques nuances près, la guerre a partout la même figure ; tandis que la rumeur de vie qui suivit la défaite de Cornwallis, allait fournir à ce voyageur dont l’esprit était fin et pénétrant, l’âme noble, l’intelligence généreuse, l’occasion de remarques et d’observations d’un relief saisissant, qui demeurent comme une peinture intéressante du peuple américain à cette heure de son évolution.
L’expédition se composait de deux frégates, l’une la Gloire, armée de trente-deux canons portant du douze, l’autre l’Aigle, armée de quarante canons, portant du quatorze. La Gloire abritait en plus deux millions et demi en ses coffres[1]. On se rendit à Brest pour appareiller dans les premiers jours d’avril 1782. Il fallut attendre encore près de trois mois, soit le 15 juillet, pour lever l’ancre. Les élémens semblaient s’être entendus avec la croisière anglaise pour boucher la sortie du port. La première escale, mi-volontaire, mi-imposée, alla aux Açores. Il fallait renouveler la provision d’eau. En plus d’un demi-siècle, les habitans d’Angra n’avaient vu que deux fois des Européens : les passagers d’un vaisseau français et de deux bâtimens anglais. Entre les habitudes raffinées qu’ils venaient de quitter à Versailles et les nouveautés un peu rudes dont ils allaient avoir le contact sur le sol américain, la civilisation de Terçère se plaça sur la route de ces marins comme un souvenir du moyen âge et de ses cours d’amour. Le lendemain de leur arrivée, Ségur, Lauzun, Broglie, furent conduits par le Consul anglais dans un
- ↑ Les compagnons du comte de Ségur étaient le duc de Lauzun, le prince de Broglie, le baron de Montesquieu, le vicomte de Vaudreuil, les chevaliers de Lameth et de Vallongue, MM. de Sheldon, de Loménie, de Polarski et de Liliéhorn, aide de camp du roi de Suède.