ils me demandaient quelle était sa profession ou son métier[1]… »
Au cours de cette rapide chevauchée, M. de Ségur ne put s’arrêter que peu d’heures à Trenton et à Princeton. Il le regretta. « J’aurais vivement désiré, dit-il, connaître plus en détail ces deux jolies villes, car elles rappelaient les souvenirs glorieux des actions brillantes de Washington et de Lafayette et d’un grand nombre de guerriers qui avaient su forcer les Anglais, malgré leur tactique et leur nombre, à estimer ce peuple insurgé, pour lequel ils avaient affecté un si injuste mépris, et à reconnaître que l’amour ardent d’une sage liberté est de toutes les puissances la plus redoutable[2]. »
Le prince de Broglie, qui fit le même trajet, a noté, lui aussi, des détails qui complètent pittoresquement les observations de son ami : « J’étais seul, écrit-il, avec deux valets, en sorte que rien ne m’empêchait de me livrer à mes réflexions. Je considérais avec plaisir ce peuple et ce pays naissans. J’étais, de temps en temps, arrêté par des points de vue imposans ; je traversais des forêts immenses et je rencontrais de deux en deux lieues des villages bien bâtis, où l’on ne voyait aucune trace d’indigence. Les habitans bien vêtus, grands, forts, et déjà fiers de leur liberté recouvrée, achevaient de me décider en faveur d’un pays qu’ils semblaient chérir si parfaitement eux-mêmes, et la vue d’un grand nombre de jolis visages de femmes ne me paraissait rien gâter à cet ensemble… Je m’arrêtais pour dîner et pour coucher, et partout j’étais reçu avec la plus parfaite hospitalité. J’aimais à causer avec les maîtres de la maison… Nous dînions ensemble sans cérémonie, et, sans que le mari s’en formalisât, j’embrassais l’hôtesse quand elle était jolie. Ces petites caresses et la complaisance dont j’usais toujours pour parler politique et papiers publics avec mes hôtes me valaient ordinairement la meilleure chambre de la maison. J’obtenais aussi, ce qui est encore plus rare, d’avoir à mon lit des draps qui n’eussent encore servi à aucun gentleman, et je marquais tant d’aversion pour coucher en compagnie, à moins que ce ne fût avec l’hôtesse, qu’on m’accordait encore de n’être pas réveillé pendant la nuit
- ↑ Un bon Américain demanda au duc de Lauzun quel métier exerçait son père ? « Mon père, répondit Lauzun, ne fait rien, mais j’ai un oncle qui est maréchal. (Il faisait allusion au maréchal de Biron.) « Fort bien, dit l’Américain, en serrant de toutes ses forces les mains du jeune duc, c’est un très bon métier. »
- ↑ Lettres inédites, passim.