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à la tolérance, car on y voit en grand nombre des catholiques, des presbytériens, des calvinistes, des luthériens, des unitaires, des anabaptistes, des méthodistes et des quakers, qui professent chacun leur culte en pleine liberté et vivent entre eux dans un parfait accord. »

Le jeune voyageur aurait volontiers prolongé son séjour parmi ces gens paisibles et hospitaliers. Au bout de vingt-quatre heures, un officier détaché par le baron de Vioménil lui apporta l’ordre de se mettre tout de suite en route pour les Etats du Nord : les dépêches qu’on lui avait confiées étaient impatiemment attendues par les généraux Rochambeau et Washington, qui campaient alors près de la rivière Hudson. « Monté sur un assez bon cheval, » il reprit son chemin et la fatigue ne l’empêcha jamais d’ouvrir les yeux sur le pays qu’il traversait.

« Je trouvai partout, dit-il, dans tous les bourgs, dans toutes les villes, dans toutes les maisons particulières où je m’arrêtais la même simplicité de mœurs, la même urbanité, la même hospitalité, le même zèle pour la cause commune et le même empressement pour me faciliter les moyens d’arriver promptement à ma destination. A chaque pas, sur ma route, j’éprouvais deux impressions contraires : l’une produite par le spectacle des beautés d’une nature sauvage, et l’autre par la fertilité, la variété d’une culture industrieuse et d’un monde civilisé… Nulle part l’indigence et la grossièreté ; chez tous les individus, cette fierté modeste et tranquille de l’homme indépendant qui ne voit au-dessus de lui que les lois, et qui ne connaît ni la vanité, ni les préjugés, ni la servilité de nos sociétés européennes. Tel est le tableau qui, pendant tout mon voyage, surprit et fixa mon attention… Là, nulle profession n’est ridiculisée, ni méprisée el, dans des conditions inégales, tous conservent des droits égaux. L’oisiveté seule y serait honteuse… Dans les premiers momens, j’étais un peu surpris en entrant dans une taverne de la voir tenue par un capitaine, par un major, par un colonel, qui me parlait également bien de ses campagnes contre les Anglais, de l’exploitation de ses terres, de la vente de ses fruits et de ses denrées… Les grades militaires et les emplois n’empêchent personne d’avoir une profession. J’étais encore plus étonné lorsque, après avoir répondu aux questions de quelques-uns sur ma famille et leur ayant dit que mon père était ministre ou général,