pouvait faire un ancêtre, soyons donc obligés à Voltaire d’avoir montré que l’intelligence pouvait servir à gagner autant d’argent qu’une part dans les gabelles. Car, en dissociant deux idées qui n’allaient guère avant lui l’une sans l’autre, celle d’homme de lettres et celle de parasite, il a classé la profession, il en a accru l’indépendance, il lui a conquis ce droit de tout dire que limitaient chez les plus hardis de ses prédécesseurs le besoin ou la reconnaissance. Pour lui, sans le préserver de bien des humiliations, et sans l’empêcher de descendre encore à plus d’une bassesse, du moins cette grosse fortune allait-elle lui permettre de ne borner sa liberté de penser ou d’écrire qu’aux intérêts de son amour-propre et de sa sécurité. Elle empêcha l’envie de suspecter son désintéressement. Et puisque enfin la pauvreté, si les âmes bien nées la respectent, n’est honorée pourtant en aucun lieu du monde, la fortune de Voltaire, en lui donnant un rang ou un état dans le monde, obligea non seulement les grands seigneurs, mais plus d’une fois aussi le pouvoir même, de compter avec le philosophe. « Si Socrate eût été riche, et surtout s’il eût eu un grand état de maison, les magistrats d’Athènes, au lieu de le faire emprisonner, eussent brigué l’honneur de venir dîner chez lui. »
Je ne veux pas dire, on l’entend bien, que Voltaire, en entrant dans le monde, ait mis lui-même dans sa conduite cet esprit de suite que nous ne pouvons, nous, éviter d’y mettre en le résumant. Pour échouer infailliblement, il n’est rien tel que ces desseins longuement prémédités et obstinément suivis, qui manquent toujours par l’endroit qu’on en croyait avoir le plus savamment calculé. La mobilité de Voltaire était d’ailleurs trop grande, son humeur était trop capricieuse ou trop journalière, et, s’il réfléchissait, c’était trop en courant pour ce que de semblables desseins, encore qu’ils ne réussissent pas, n’exigent pas moins d’application, de patience et de constante possession de soi-même. Dans le temps où l’on eût cru qu’il y travaillait tout entier, n’avait-il pas failli tout à coup échanger son rôle futur contre un moindre ? et, si le cardinal Dubois ou Monsieur le Duc l’eussent voulu, s’engager dans les intrigues on ne sait de quelle diplomatie subalterne et douteuse ? Heureusement que son étoile, ou la nôtre, ne le permirent pas, et que ni le duc de Bourbon, ni Dubois ne le prirent au sérieux : ils le laissèrent dans son élément. Et c’est alors que pour s’y adapter, conformant