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quand la cérémonie de la cuiller a marqué vos intentions[1]. »

Le prince de Broglie a, bien entendu, un coup d’œil pour les autres dames de l’assistance. Il distingue d’abord ce quelque chose d’ « emprunté » que, dans une certaine mesure, elles tiennent de leur origine allemande : « Les dames de Philadelphie, dit-il, quoique assez magnifiques dans leur habillement, ne sont pas généralement mises avec beaucoup de goût ; elles ont dans leurs coiffures et dans leurs têtes moins de légèreté et moins d’agrément que nos Françaises ; quoique assez bien faites, elles manquent de grâce, et font assez mal la révérence. Elles n’excellent pas non plus dans la danse, mais, on revanche, elles savent bien faire le thé. » Ceci divertit encore davantage ce Français de grande maison : il voit poindre autour de lui quelques soupçons de snobisme. C’est un péché léger où Philadelphie se complaît encore : les gens de la ville qui veulent « compter » y sont tenus d’étouffer leurs habitations dans les étroites limites d’un petit espace de terrain que l’on nomme « l’hectare de Dieu. » « L’esprit qui règne à Philadelphie, remarque à ce sujet le prince de Broglie, est entièrement républicain. Il devrait donc, ce me semble, entretenir parmi les habitans la plus parfaite égalité. Cependant la vanité et l’amour-propre, passions si naturelles à l’esprit humain, commencent déjà à s’y faire sentir, et quoique les mots de noblesse et de distinction quelconque en soient bannis, les habitans qui peuvent dater leur séjour à Philadelphie du moment de sa fondation s’arrogent déjà quelques privilèges, et cette prétention est même plus marquée parmi ceux qui joignent de grandes richesses à ce grand avantage[2]. »

Au contraire, Boston apparut aux jeunes voyageurs sous un aspect plus raffiné. « La ville, fort commerçante en temps de paix, réunit nécessairement un grand nombre de gens aisés et une petite quantité de négocians fort riches. Le luxe s’y est établi plus anciennement que dans toute autre ville d’Amérique ; il y a prospéré ; au moyen de quoi cette ville est une de celles où, pour la société ainsi que pour la bonne chère, on s’éloigne le plus de cette rusticité un peu grossière des usages américains. On y boit de meilleurs vins, on a des serviettes de table, chacun boit dans son verre, on change d’assiette aussi souvent que l’on

  1. Mélanges de la Société des Bibliophiles français.
  2. Id., ibid.