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veut. C’est vraiment de la magnificence[1]. » Il y eut pourtant une ville pour trouver grâce devant cet observateur si clairvoyant, et ce fut Newport, qui semble bien avoir été, au XVIIIe siècle comme aujourd’hui, le centre le plus mondain de la vie américaine. « Newport, dit le prince de Broglie, ce lieu charmant regretté par toute l’armée, car c’est ainsi que chacun en parlait. » Avertis qu’ils trouveraient là toutes les élégances du pays, le prince et ses compagnons de voyage n’avaient eu « rien de plus pressé » que de faire connaissance avec la société. Dès le soir de leur arrivée, le colonel de Vauban, arrière-petit-neveu du maréchal, les introduisit chez un M. Champlain, assez distingué par ses richesses, mais beaucoup plus connu dans l’armée par la figure charmante de sa fille. « Elle n’était pas au salon au moment où nous y entrâmes, raconte le prince de Broglie, mais elle parut l’instant d’après ; il est inutile de dire que nous l’examinâmes avec attention. C’était la traiter favorablement, car le résultat fut de lui trouver de beaux yeux, une bouche agréable, une fraîcheur parfaite, une jolie taille, un joli pied et une tournure tout à fait désirable. Elle joignait à tous ces avantages celui d’être mise et coiffée avec goût, c’est-à-dire à la française, d’entendre et de parler notre langue… Quelques autres ladies avec lesquelles je fis connaissance achevèrent de me convaincre que Newport renfermait plus d’une rose… Toutes ces jeunes personnes paraissaient regretter beaucoup notre armée. Elles nous avouèrent qu’il n’avait plus été question d’amusemens ni de bals, depuis le départ des Français. Cette petite complainte nous engagea, le comte de Ségur, Vauban et moi, ainsi que plusieurs autres jeunes gens de notre armée, à donner un bal à ces aimables désolées. Nous n’éprouvâmes ni refus ni difficultés quand nous parlâmes de danse. Il se rassembla environ vingt dames ou demoiselles charmantes ; elles étaient mises à merveille. Elles eurent l’air de s’amuser ; nous toastâmes fort gaiement, tout se passa fort agréablement[2]. »

Le charme des jeunes filles de Newport devait laisser dans le souvenir du comte de Ségur une impression plus profonde. Il sentit qu’elles étaient dignes d’attachement. Il a analysé avec sa finesse ordinaire la qualité de la séduction qu’il éprouva.

« La ville de Newport, dit-il, très bien bâtie, bien alignée,

  1. Mélanges de la Société des Bibliophiles français.
  2. Id., ibid.