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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/241

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les rendre solidaires, est d’ailleurs fondée. La majorité des cheminots sont de braves gens qui font bien leur service et qui, ils l’ont montré, ne s’en départent pas volontiers. S’ils sont trop sensibles aux promesses démesurées qu’on leur prodigue, ils ne sont pas sans excuses, et la première de toutes, il faut bien l’avouer, est l’exemple, qui leur est donné trop souvent, des faiblesses du gouvernement et de la condescendance des Compagnies. N’apercevant plus les limites du possible, ils espèrent et ils demandent tout. Ils demandent aujourd’hui cinq francs par jour pour les plus humbles d’entre eux, au lieu de trois francs. C’est une revendication dont le caractère très simple séduit l’esprit. Comment, entend-on dire partout, un homme peut-il vivre avec un salaire de trois francs ? Mais ce salaire est une simple fiction : en réalité, les cheminots qui le touchent n’y sont point réduits et, soit par des gratifications, soit par des indemnités diverses, soit par des étrennes, ils atteignent à un chiffre sensiblement plus élevé. Alors, demandera-t-on, pourquoi les Compagnies refuseraient-elles de consolider officiellement le chiffre des débutans à cinq francs qu’elles leur paient le plus souvent ? Le motif en est simple, c’est que tout aussitôt ceux qui ont 5 francs en demanderaient 7, ceux qui en ont 7 en demanderaient 10, et ainsi de suite, de manière à conserver entre les salaires les proportions primitives, ce qui serait d’ailleurs très juste. Au surplus, nous avons tort de mettre au conditionnel ce qui est au présent. Toutes ces augmentations de traitement sont aujourd’hui demandées à la fois, et le rapporteur du budget des chemins de fer, M. Lafferre, qui n’est pas suspect, a calculé que la surcharge annuelle qui en résulterait pour les Compagnies serait de 253 millions. Ce chiffre l’effraie, et il conclut sagement que « il faut avoir le courage de dire au personnel qu’il paraît impossible à l’heure actuelle de réaliser pour l’ensemble des réseaux la « thune » à laquelle ils fixent le minimum de salaire. » Aura-t-on le courage que proche M. Lafferre ?

Pendant que nous écrivons, les interpellations se poursuivent au Palais-Bourbon. Nous avons dit ce qu’avait été la première séance, peu honorable à coup sûr pour la nouvelle Chambre. On a pu croire un moment que les socialistes unifiés étaient résolus à faire de l’obstruction pour enlever à M. Briand le succès qui l’attend. Il n’est pas douteux, en effet, que le gouvernement n’obtienne une grande majorité. Quelles que soient ses divisions, la Chambre soutiendra certainement de son vote le ministère qui a mis fin en quelques jours à la grève générale des chemins de fer. M. Briand a d’ailleurs parlé avec une grande fermeté. Il a fait, on peut dire à satiété, la démons-