Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se posa sur son nom. Peu d’hommes, au cours de l’existence, restèrent plus constamment pareils et fidèles à eux-mêmes, gardèrent, parmi les circonstances mobiles, une plus harmonieuse unité. Au physique même, il avait peu changé. Comme je le vis, quinze jours avant sa mort, causant avec animation dans son cabinet de travail, ainsi je le retrouve, quelque trente ans plus tôt, au fond de ma mémoire : mince, effilé, gracile, sa haute taille prise dans un vêtement étroitement ajusté, la tête petite, portée très droite, les traits irréguliers, mais fins et distingués, le nez légèrement relevé, la bouche cachée sous une forte moustache, le menton court, presque fuyant, les yeux enfoncés dans l’orbite, des yeux voilés de myope, pénétrans cependant, caustiques, au regard volontaire ; un abord un peu froid, que le monocle à l’œil, la parole réservée rendaient intimidant pour ceux qui le connaissaient mal ; des gestes saccadés, nerveux, qui semblaient retarder sur la pensée rapide ; et, sur tout cet ensemble, une élégance native, une simplicité raffinée, le frémissement contenu d’une âme impressionnable, un charme indéfinissable et prenant.

A ranimer cette physionomie familière, à évoquer celui qui fut l’exquis compagnon de ma vie, j’éprouve une émotion qui, si je m’écoutais, paralyserait ma plume. Il s’y môle cependant une amère et secrète douceur à parler de celui qui ne peut plus m’entendre, à rendre à sa mémoire l’hommage qu’avec son horreur de la louange, il eût naguère arrêté sur mes lèvres. Heureux si je pouvais, à ceux qui l’ont connu, procurer un instant la consolation du souvenir, à ceux qui l’ont seulement admiré dans ses œuvres, donner une raison de l’aimer.


I

Albert Vandal est né, le 7 juillet 1853, d’une lignée d’administrateurs, formés à la grande école impériale. Son grand-père finit sa carrière comme inspecteur des Douanes, au Havre. Son père, Edouard Vandal, d’abord inspecteur des Finances, puis directeur des Contributions indirectes, enfin, en 1862, directeur général des Postes et conseiller d’État, fut l’un des dévoués serviteurs de Napoléon III et l’un des fonctionnaires modèles de ce temps reculé où la règle commune, pour qui prétendait réussir dans un emploi public, était l’aménité des formes alliée