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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/28

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lui-même est moins dangereux aux sociétés que la superstition, et par superstition il ne se cachait point d’entendre toute espèce de religion, dont la chrétienne en particulier. « Les idées d’honnêteté qu’il y a parmi les chrétiens ne leur viennent pas de la religion qu’ils professent, » et « la nature les donnerait à une société d’athées, si seulement l’Evangile ne la contrecarrait pas. » Ni Collins, ni Toland ne devaient, ni d’ailleurs ne pouvaient aller plus loin ; le suprême effort que ce dernier ait pu faire, dans ses Lettres à Serena ou dans son Adeisidemon, ç’a été de soutenir le même paradoxe ; et il y avait plus de trente ans alors que les Pensées sur la comète non seulement avaient paru, mais avaient fait autant de bruit dans le monde qu’en la même année 1681 le Discours sur l’histoire universelle.

On pourrait poursuivre, et montrer, si l’on le voulait, qu’après la méthode et les idées, c’est aussi sa science, ou une part au moins de sa science historique dont Voltaire est redevable à Bayle. Quand ce n’est pas au Dictionnaire qu’il puise, c’est aux Pensées sur la comète, c’est à la Critique générale de l’histoire du calvinisme, et il a raison, puisqu’une critique est faite pour qu’on en tienne compte, et l’auteur d’un Dictionnaire ne l’a généralement compilé que pour que l’on y puise. On pourrait également montrer qu’en la plupart des points où ses idées concordent avec celles des libres penseurs anglais, c’est qu’ils se sont, eux aussi, comme lui-même, inspirés de Bayle. Mais il suffit que l’on ait vu que dans leurs conversations, puisqu’il les connut, ou dans leurs livres, il ne lut ni n’entendit rien qu’il n’eût rencontré en quelque endroit des œuvres de Bayle. Et j’ajoute encore que s’il ne suivit pas Bayle jusqu’au bout de ses déductions sceptiques, s’il chercha quelque part, et s’il trouva dans la « science » le point fixe de certitude qu’il lui fallait pour y appuyer son effort ; ce ne fut point en Angleterre, et dans le Novum Organum ou dans le Traité du calcul des fluxions, à l’école enfin de Bacon ou de Newton. Il n’avait pas besoin d’aller si loin ; et nous, quand nous le croyons, nous oublions trop Fontenelle.

Sans parler en effet de la Pluralité des Mondes, le plus joli livre de science qu’un savant homme ait jamais écrit pour l’instruction des marquises, ni de cette Histoire des Oracles où le scepticisme le plus moqueur s’enveloppe de formes si précieuses, ni de ces Dialogues des Morts où tant de vérités fines et fortes