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et frappante, » et qu’enfin « les tableaux des grandeurs et des misères humaines étant une fois faits par des mains habiles, tout cela devient lieu commun, » il se serait contenté, pour ne pas s’égarer, de mêler Corneille et Racine l’un à l’autre, et en les mêlant de les gâter tous les deux. Il y a du vrai dans cette opinion : cet homme d’un esprit si hardi a eu le goût timide. Il a cru aussi qu’en se débarrassant des entraves que Corneille et Racine avaient subies sans en être ou sans en paraître gênés, on se rendrait suspect, venant après eux, de pouvoir moins qu’eux dans un art dont leurs chefs-d’œuvre avaient fixé les lois. Il a trop étudié les modèles, et pas assez la nature. Mais il ne faut pas non plus que nous soyons les dupes d’une timidité qu’il n’affecte souvent que pour faire accepter ses hardiesses. Si Voltaire avait fait un commentaire sur Racine, comme il en a fait un sur Corneille, je crains fort que nous ne l’eussions pas trouvé plus indulgent à l’auteur de Britannicus et de Bérénice qu’à celui de Polyeucte et de Rodogune. Son admiration avait ses bornes, et on les rencontre aisément. Et, en réalité, sous l’ombre du respect, s’il a sans doute beaucoup imité, beaucoup plus émancipé aussi qu’on ne le croit de la tutelle de ses maîtres, nul autre certainement, entre Crébillon au commencement du siècle et Beaumarchais à la fin, n’a plus innové que Voltaire au théâtre.

Mais où la critique a peut-être encore davantage égaré son jugement, et même tout à fait, c’est quand on lui reproche de n’avoir usé du théâtre que comme d’un moyen de polémique ou de propagande sociale, politique ou religieuse. Le reproche n’est juste en effet que des tragédies de sa vieillesse : Olympe, les Guèbres, les Lois de Minos, Don Pedro ; il ne l’est déjà qu’à moitié d’Œdipe ou de Mahomet même, et il ne l’est plus du tout des meilleures, des plus applaudies, de celles que ce triomphateur se savait à lui-même le plus de gré d’avoir faites : Zaïre, Alzire, Mérope, Sémiramis, Tancrède. Si les sentences y sont nombreuses, elles sont convenables à la nature des intérêts généraux, intérêts d’empires ou de religions qui sont l’un des objets de la tragédie classique, et la preuve, c’est que l’on en trouverait peut-être davantage dans la tragédie de Corneille, dans Cinna, dans la Mort de Pompée, dans Horace et jusque dans Polyeucte. L’intérêt seul diffère, et aussi la beauté du langage. On ne voit point d’ailleurs qu’aucune loi de son art ait