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ni n’a jamais existé, ni n’existera jamais dans l’avenir. — Moi, Paulo Emilio Orsini, je m’engage à soutenir ce qui est contenu dans cet écrit. — Moi, Accursio Mattei, je m’engage, etc. »

Ce cartel extraordinaire, que M. Guido Biagi a tiré des papiers des Rinuccini et publié pour la première fois, était signé de gentilshommes fort considérables, parmi lesquels un Orsini ; un Urbino et un Rinuccini. Le bruit même avait couru qu’il était signé de Filippo Strozzi, le grand banquier florentin, l’homme le plus riche, le plus éclairé et le plus considérable de son époque. Ce bruit était faux, mais une chose vraie, c’est que Tullia d’Aragon faisait tourner toutes les têtes, y compris les solides têtes des Florentins, ces têtes de marbre que nous voyons au Bargello. Celle de Filippo Strozzi n’avait pas résisté. Du temps où il était à Rome, en ambassade officieuse auprès du Pape, c’est-à-dire en 1531, Tullia l’avait si bien ensorcelé qu’il lui laissait lire sa correspondance par-dessus son épaule. Vettori, lui écrivant de Florence, l’en gourmande de la sorte : « Vous m’écrivez avec Tullia à votre côté, mais je ne voudrais pas que vous lisiez de même ma réponse, elle étant près de vous. Vous êtes amoureux d’elle à cause de son esprit, mais je ne veux pas qu’elle puisse me nuire avec quelqu’un de ceux que je nomme ici. Je ne prétends pas faire des semonces à Filippo Strozzi, quoique, si les semonces avaient le pouvoir de corriger, vous ne vous offenseriez pas d’être morigéné, mais j’ai ouï parler de l’envoi de je ne sais quels cartels qui m’ont fâché, en songeant qu’un homme comme vous, âgé de quarante-trois ans, irait se battre pour une femme. Et quoique j’estime que vous réussiriez aussi bien aux armes qu’aux lettres ou à toute autre chose à laquelle vous vous appliquez, cela me peinerait de vous voir vous exposer à un danger pour une cause aussi futile, et je vous rappelle que d’hommes tels que vous on en voit peu par siècle, et ceci n’est point flatterie… »

Cette semonce n’était pas inutile. L’homme à qui elle s’adressait ne manquait pas de génie, mais de prudence, et regardait trop les yeux des femmes pour lire, aussi distinctement qu’il l’eût fallu, dans les yeux des hommes. Doué comme nul autre, beau, svelte, aimable, adroit à tous les sports, poète, musicien surtout, homme d’affaires incomparable et banquier accompli, Filippo Strozzi paraissait uniquement un homme de lettres aux littérateurs, un homme d’affaires aux gens d’affaires et jamais