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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/369

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En quittant les Uffizi, faisons quelques pas et entrons au Palais Vieux qui y touche. Tout le monde le connaît, ce rocher noir surmonté d’une aigrette, il domine tout Florence. C’est un bloc à surplomb crénelé, troué çà et là de trous qui sont des fenêtres, avec un donjon ajouré planté au front comme un plumet au front d’un casque et qui s’évase par le haut, dans le ciel. Cela a l’air d’une prison et cela servit souvent de prison, en effet ; on montre encore, dans la tour, la cellule où furent enfermés Cosme, le Père de la Patrie, avant ses grandeurs, et Savonarole après sa chute : prison dans une forteresse, imprenable, abrupte, à pic. Cela sent le bourreau, et, à la vérité, plus d’une exécution a eu lieu derrière ces murs, sans compter les meurtres qui, à toutes les révolutions, les ont ensanglantés. Il n’y a guère de fenêtre qui n’ait servi de potence, guère de pavé qui n’ait été rouge de sang. C’est là que le duc Cosme amena sa jeune femme, un an environ après son mariage et qu’il l’a tenue enfermée jusqu’à l’époque où il est allé habiter le palais Pitti, c’est-à-dire neuf ans, de la fin de 1541 au mois de mai 1550, et où ils revinrent encore, maintes fois, passer de longues heures, même après l’acquisition du palais Pitti.

Ce n’était point sa demeure familiale. Sa demeure était le palais Médicis, aujourd’hui palais Riccardi, situé via Larga, aujourd’hui via Cavour. Mais Cosme ne s’y sentait pas le maître de Florence. Si imposante qu’elle fût, c’était la maison d’un particulier. Le palais de la Seigneurie, ou Palais Vieux, était la maison du gouvernement, la maison commune, comme il l’est redevenu aujourd’hui. Il joue, dans l’histoire des révolutions de Florence, le rôle de l’Hôtel de Ville dans nos révolutions. Qui tenait le palais de la Seigneurie, tenait Florence. Cosme s’y rembucha donc tant qu’il ne crut pas son pouvoir indestructible. Il y annexa, pour sa commodité, les deux palais du Capitaine et de l’Exécuteur de justice, qui y faisaient suite. Il expulsa les lions qui, depuis des siècles, rugissaient dans une maison et une cour du côté où passe la rue encore appelée via Leoni. Il remplit la loggia dei Seignori de ses mercenaires allemands, qui avaient leur caserne toute proche, d’où le nom qu’elle a gardé depuis de Loggia dei Lanzighinetti ou dei Lanzi. Enfin, il aménagea, tant bien que mal, pour son usage et celui de sa famille, les chambres occupées précédemment par les Priori et le gonfalonier.