c’est celui de savoir si, lorsqu’il ramena de Venise l’insouciante fille des Cappelli, — c’est-à-dire une beauté qui devait éblouir quiconque la verrait, — l’amour était bien le seul démon qui le poussât ou si ce n’était point quelque ambition inavouable. Par son oncle, l’agent secret du duc Cosme, il savait fort bien par quels chemins on parvenait au palais. Le train dont il mena les choses, le péril de sa femme dévoilé, l’intervention du jeune prince obtenue, l’aisance qu’il mit à ce qui aurait dû le désespérer, la gloire qu’il se fit de sa honte, la joyeuse vie qu’il mena dès ce moment, tout cela jette le jour le plus fâcheux sur cette aventurière figure. On eût été charmé d’apercevoir la silhouette d’un fou : on tombe sur un calculateur.
Nul ne fut donc très indigné, lorsqu’on apprit, un beau matin d’août, le 25 août 1572, que la veille dans la nuit, Pietro Bonaventuri, venant du palais Strozzi où il avait soupe et mené grande fête, et rentrant chez lui, de l’autre côté de l’Arno, juste comme il venait de débucher par le pont Santa Trinita, avait été assailli et tué par un parti de gens armés, en tête desquels son rival en conquêtes galantes, Roberto de Ricci. On ne s’attarda pas beaucoup à se demander si la femme du mort était pour quelque chose dans ce brusque dénouement d’une situation délicate. Il la gênait fort peu, semblait-il, car la pensée qu’elle voulût en épouser un autre ne traversait l’esprit de personne. L’assassinat était alors un assez ordinaire instrument de veuvage ; mais en ces temps de diagnostics incertains, de malaria permanente, de routes mal sûres et de vendettas compliquées, on ne savait jamais exactement dans quelle mesure la peste, le poison, les brigands ou les sbires collaboraient au dénouement des chaînes conjugales.
Il n’y a pas loin de ce coin de pont où Buonaventuri fut tué jusqu’au palais de Bianca Cappello, encore debout, dans la via Maggio, avec sa porte en forme d’amande et ses grandes fenêtres carrées quadrillées de fer, morne et endormi comme dans la nuit sinistre du 25 août 1572. Plus endormi peut-être. Elle dut entendre, par le calme de la nuit et les fenêtres ouvertes en été, des cris, des battemens de fer, car le misérable se défendit. Puis ce fut fini. Elle était veuve, débarrassée d’un homme qui la déshonorait pour la seconde fois. Et, au bout de cette ruelle ouverte en face de sa maison, comme une fente de rocher, il y avait le palais de son amant, et quelque part, dans les environs