de Florence, son amant lui-même en villégiature, attendant le jour où il pourrait lui accorder tout ce qu’elle demanderait.
Ce qu’elle lui demanda, en se jetant à ses pieds, en de longs voiles de deuil, la face bouleversée par l’horreur de la nuit tragique, ce fut : Justice ! justice ! Elle jura qu’elle voulait découvrir et poursuivre les assassins de son mari, quels qu’ils fussent, et les punir. Elle avait sa fille avec elle, la petite Pellegrina, l’enfant bien nommée des deux fugitifs, et ne voulait plus vivre que pour elle, attestant le ciel qu’elle allait retourner dans son pays, — où, d’ailleurs, nul ne se souciait de la revoir. Ce fut un beau spectacle de vertu et d’amour conjugal. La cour y fut prise, du moins en partie, et en ce qu’elle avait de meilleur. La duchesse de Bracciano, la charmante fille d’Eléonore de Tolède, lui écrivait de son lit : « Je vous aime plus qu’une sœur… » Quant au grand-duc, ses sentimens n’avaient pas changé. On a un billet de lui, à peu près de cette époque, accompagnant une petite cire peinte qu’il lui envoyait. Le voici : « Bien-aimée Bianca. — De Pise, je vous envoie mon portrait que m’a fait notre maître Cellini ; en lui prenez mon cœur. — Don Francesco. »
Tout conspirait donc pour que la belle veuve devînt grande-duchesse de Toscane, — tout, sauf la grande-duchesse elle-même. Car il y en avait une, qu’on oubliait un peu, dans cette bagarre. Mais cette personne, encore que mal gracieuse, petite, hautaine et mal faite, étant la sœur de l’Empereur, tenait de la place et, dans le hourvari du XVIe siècle florentin, elle faisait paraître cette sorte de vertu austère dont on ne sait jamais si, n’étant pas faite de dépit, elle vient bien du ciel plutôt que de l’enfer. Elle s’obstina, six ans encore, non seulement à vivre, mais à donner nombre d’enfans à son mari, beaucoup de filles, un seul fils. Toutefois, le destin n’a pas une patience éternelle. Un jour, comme elle était encore en état de grossesse avancée, on la laissa choir sur les marches du palais, si heureusement pour les projets du grand-duc, qu’elle mourut incontinent. Son fils unique, le petit prince Filippo, mourut peu d’années après. Les érudits ont depuis lors démontré que ces accidens étaient très naturels, mais le peuple florentin, pour habitué qu’il y fût, n’en demeura pas moins fort ébahi que toutes les morts tragiques qui environnaient Bianca Cappello lui fussent toujours profitables. Il lui voua une haine cordiale et il l’appela « la Sorcière. »