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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/380

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dames qui, se tenant sur le lit, la tenaient comme assise, et on lui lut le texte dans la ruelle du lit, parce que le bord de devant et la partie des pieds étaient tout entourés d’une foule de gens, ce qui fut cause que je ne pus m’approcher dudit lit. Avant qu’on eût fini de lire, j’entendis des gens présens qui disaient : « Ce n’est plus la peine de lire ; ne voyez-vous pas qu’elle ne sent plus rien et qu’elle est déjà passée ! » D’autres disaient : « Lisez jusqu’à la fin, car elle entend et elle vit ! » et autres paroles semblables. Sur quoi, je m’approchai de force et voulus voir si vraiment elle était vive ou morte, et je la trouvai comme en extase et sans sentiment aucun… » — Ainsi expirèrent, parmi le serpentement des intrigues et le fourmillement des haines, Francesco de Médicis et Bianca Cappello, ce Philémon et cette Baucis de l’assassinat.

De l’assassinat ? En sommes-nous sûrs ? Le grand trait de Bianca Cappello, sa passion dominante, n’est pas un mystère. Ce sont ses traits secondaires : ceux du scrupule ou de l’audace, de la bonne ou de la mauvaise foi, ce sont ses passions auxiliatrices qui demeurent pour nous des énigmes. Et ni le portrait du Bronzino que nous voyons au Pitti, ni celui des Uffizi où la face est plus pleine et plus moutonnière, ni celui qui est aussi aux Uffizi, fait au temps où Bianca était déjà hydropique, où elle est grasse et replète, l’âge commençant à mettre son collier de plis autour du cou, ne nous renseignent pleinement. Il est vrai qu’ils sont tous de mains médiocres, hors celui du Bronzino, qui est de main lassée. Les portraits écrits, les lettres pliées dans les archives ne sont pas plus révélatrices. Un seul trait saute aux yeux : le trait de la bienveillance, cette bienveillance universelle qui se concilie fort bien avec la cruauté envers quelques-uns. On voit toujours Bianca préoccupée de gagner les cœurs, de fondre les haines, de réconcilier les ennemis. C’est elle qui, par ses longues instances, a ramené le cardinal à son frère, et l’a installé à Poggio a Caiano, où il devait se trouver à point nommé pour recueillir l’héritage d’un trône. Tous ceux qui l’approchèrent, sans qu’elle les ait assassinés, l’ont aimée, et rendent témoignage pour elle devant l’histoire. Pourtant le peuple l’a haïe. Alors, devant ce portrait de la salle de Prométhée, on reste incertain…

On sort du palais Pitti, on erre par la ville, on va voir les décors du drame. Les décors, n’ont pas bougé. Les pierres sont