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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/381

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là, tout est resté en place, comme si la prima donna venait seulement de quitter la scène. Au hasard de la flânerie, il arrive qu’on refait la route que suivit Pietro Buonaventuri, la nuit où, sortant du palais Strozzi pour rentrer chez lui, il fut tué. La route est courte. On gagne le pont Santa Trinita, et, si l’hiver est fini, on trouve, à ce coin de parapet où M. Henry Holiday a placé son fameux tableau représentant la première rencontre de Dante et de Béatrix, des marchands portant leurs gerbes de fleurs, autour de la statue de l’Été portant sa gerbe de pierre. Le ciel rayonne derrière les vieilles maisons noires du Borgo San Jacopo ; la foule bruit comme une volière ; les sabots des petits chevaux attelés à de frêles équipages sonnent sur les dalles éperdument : rien n’évêque la moindre image d’un drame quelconque. De l’autre côté du pont, sur la petite place où se précipita l’attaque des assassins, la vie est plus populaire encore, plus joyeuse : un marchand de marrons découvre sa marchandise fumante, des mulets secouent leurs pompons rouges et leurs plumets blancs, attelés à des sauterelles de bois peint en rouge, pleines de fiaschi de vini scelti ; un charretier fait boire son cheval dans une exquise vasque de marbre patinée par le temps, aussi indifférent à ce chef-d’œuvre que peut l’être la bête qui y plonge ses naseaux ; des vendeurs tiennent des branches d’amandiers en fleurs comme des candélabres allumés ; une automobile se coule dans la ruelle étroite et jette sa fumée bleue sur le palais Cappello, emportant peut-être dans sa course les mêmes passions qui l’habitèrent autrefois : — tout s’unit pour nous faire oublier les minutés tragiques de Florence sous son éternel sourire. L’histoire est impuissante à combattre, en nous, cette impression dénature et d’art. Les libelles, les diarii, les archives, les -correspondances diplomatiques même ne tiennent pas devant les images que Ghirlandajo, Botticelli, Filippo Lippi, nous ont laissées de la vie florentine.

Devant nous, dans l’ancien couvent des Barbetti, laïcisé aujourd’hui et consacré à l’enseignement féminin, des jeunes filles entrent, sortent : c’est une école normale où elles vont apprendre tout ce qu’on enseigne de nos jours ; elles sauront tout ce qui se passe et ce qui s’est passé depuis des milliers d’années dans ce vaste monde ; on leur apprendra la physique, la chimie, les effets de rayons qui portent toutes les lettres de l’alphabet ; on leur apprendra la suite de tous les Pharaons qui