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régnèrent sur l’Egypte, d’où proviennent les tremblemens de terre et quand reviendra la comète de Halley, — car on nous dit que l’histoire est dorénavant une science et qu’avec les bonnes méthodes, on ne peut errer ; — mais elles ne sauront jamais si, là, sous les fenêtres de leur école, sur ces dalles où leurs talons sonnent tous les jours, Bianca Cappello a fait ou n’a pas fait assassiner son mari.


Telles sont, — ou du moins telles nous ont paru être, — les femmes les plus célèbres par leurs portraits et par leurs vies qu’on voyait passer, sur les bords de l’Arno, il y a quelque quatre cents ans. On s’étonnera peut-être de ne pas les trouver si lointaines… Elles sont très humaines, très féminines, quelques-unes très « féministes : » nullement imprévues. On ne voit pas, dans la construction de leurs masques, un seul trait qu’on ne retrouve aujourd’hui dans les figures qui passent dans la rue. De même, peut-on dire qu’il y ait, chez les âmes d’aujourd’hui, prétendument modernes, un goût, une prétention, même une manie, que nous ne retrouvions, si nous le voulons bien, chez ces Florentines disparues ? Non. Il ne semble pas que la nature se mette en frais d’âmes nouvelles, à chaque génération, non plus que de nouveaux nez, de nouveaux yeux et de nouvelles fossettes… Il y a eu, de tout temps, des âmes de la même étoffe : la façon seule diffère et ce sont les circonstances qui la font. Quand ces circonstances sont générales, pressantes elles coupent et taillent impérieusement en plein drap humain : un type se forme, qu’on appelle le type du siècle, du règne ou de la cité, et l’on a raison puisque ce type est le plus habituel et qu’il faut bien donner une figure à une époque, pour la reconnaître. Mais tous les autres sont possibles et nous venons de voir que les plus modernes pouvaient vivre au XVe ou au XVIe siècle, — puisqu’ils y ont vécu. Et puis, sait-on jamais ce que serait la figure qu’on croit le mieux connaître si la destinée la plaçait dans une autre lumière, l’éclairait du reflet d’autres objets, jetait sur elle l’ombre de nuages qu’elle n’a pas connus ? Il faut bien des choses diverses pour qu’une âme humaine déploie tous ses replis…


ROBERT DE LA SIZERANNE.