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n’ai lu que mon rôle. » Le trait parut si fort à Ph. Audebrand, qu’il questionna Crémieux, et celui-ci répondit en propres termes : « Je vous proteste que Rachel ne savait rien de ce qui aurait pu l’éclairer sur l’esprit de ses rôles. Fort heureusement douée, elle devinait tout. J’ai parlé de sa manière d’étudier Horace en n’apprenant que le rôle de Camille. A propos du rôle de Phèdre, je cherchais à la renseigner, à lui faire comprendre quelle était la famille de la femme de Thésée. Au sujet de ce vers superbe :


La fille de Minos et de Pasiphaé,


« Est-ce que réellement il y avait un taureau né dans cette maison ? » me demanda-t-elle. Et j’eus toutes les peines du monde à lui faire entendre que l’histoire de ces temps lointains est toute parsemée de fables et de légendes… »

Un soir, le tsar Nicolas Ier, au moment où Rachel se retirait, prend son écharpe des mains du chambellan de service, et la pose lui-même sur ses épaules. La reine Victoria paie son dédit à Marseille, et lui offre un banquet à Windsor. La Presse du 14 juin 1841 raconte l’événement : « Mademoiselle Rachel est arrivée cet après-midi à Windsor ; des appartemens lui avaient été préparés à l’hôtel du château. Le splendide banquet qui doit être donné ce soir par Sa Majesté, dans la grande salle Saint-Georges, sera de 102 couverts… Au nombre des pièces qui seront exposées, on remarque la précieuse tête de tigre (connue sous le nom de marchepied de Tippo-Saïb) ; le superbe paon, orné de pierres précieuses d’une immense valeur, et le magnifique bouclier d’Achille. Cette fois, j’imagine que Rachel, si elle convoita in petto ces trésors, n’osa point traduire son noble désir. Au surplus, elle ne se privait pas de critiquer la société de Londres : « Oui, disait-elle un jour, les Anglais sont très aimables, mais il semble que les artistes soient des bêtes sauvages dont ils ont peur, car ils vous parquent comme les animaux du Jardin des Plantes. » Alors, paraît-il, on installait pour tes artistes, dans les salons de Londres, une sorte d’estrade ou d’enceinte fermée par des cordelières de soie, et Rachel se sentait isolée du reste de la compagnie.

Après la première de Diane, Arsène Houssaye charge deux jeunes secrétaires d’ambassade de la complimenter. Ils s’en acquittent si bien, qu’ils reviennent tout énamourés. Le