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dans l’ordre du sentiment, ceux-ci ont pu être comparés aux créateurs.

Lorsque l’on consulte les initiés sur l’esprit de nos ballerines, ils répondent le plus souvent avec le sous-préfet du Monde où l’on s’ennuie : « Elles n’en ont pas. » Sans doute leur horizon intellectuel ne dépasse guère celui de l’Opéra, leur instruction est médiocre, et l’on ne rencontre pas dans leur personnel beaucoup de brevets de capacité ; mais elles possèdent la diplomatie de leur métier, l’esprit et la volonté de leur ambition, le bagout plaisant de la Parisienne des faubourgs ; quelques-unes, par exception, témoignent de qualités intellectuelles, telles Beaugrand, Taglioni, Pauline Duvernay, Subra, Salles. Ce qui semble un peu contradictoire, au premier abord, c’est que la plupart des danseuses sont très inférieures, pour la culture de l’esprit, aux cantatrices, surtout aux comédiennes, et qu’en même temps, elles arrangent bien mieux leurs affaires, notamment au XVIIIe siècle. D’Alembert donnait du phénomène cette explication chastement scientifique : « C’est une suite naturelle des lois du mouvement. » Ceci tendrait à confirmer cette vieille observation, que la majorité des hommes demande aux femmes la beauté et l’agrément, plutôt que l’esprit. Mais il faut bien constater, qu’au XIXe siècle, le nombre des ballerines ayant du monde, demeure fort restreint, que cela ne les empêche nullement de dénicher force ploutocrates généreux, au besoin même des maris. Fanny Elssler convola en justes noces avec un banquier allemand, Thérèse Elssler contracta un mariage morganatique avec le prince Adalbert de Prusse ; Sangalli devint en 1880 la femme du baron de Saint-Pierre, ancien diplomate. D’ailleurs, les mariages de danseuses et d’actrices avec des mondains ou des professionnels, eurent souvent des suites fâcheuses : ainsi pour Taglioni, Malibran, Bosio, Frezzolini, Grisi, Lucca, Trebelli, Marie Sasse, Heilbron, Patti, Madeleine Brohan, etc. Cette remarque ne prouve nullement contre le mariage, et la leçon ne corrigera personne, puisque l’expérience du voisin ne sert de rien : heureux encore lorsque l’on profite, pour n’y plus retomber, de ses propres erreurs !

Un des parce que du succès des ballerines ne serait-il pas