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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/405

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Et que de jolis traits de caractère chez ces divas et chanteurs, à défaut ou à côté des révérences et des étiquettes mondaines ! C’est la Pasta qui dotait ses élèves lorsqu’elles ne lui semblaient pas devoir réussir au théâtre ; — Alboni se remettant à chanter pour gagner en trois mois 100 000 francs consacrés à la dot d’une nièce ; — Mario qui ne refusait jamais un service, et quand sa caisse sonnait le vide, signait une lettre de change, fût-elle de 25 000 francs ; — Gabrielle Krauss, Rose Caron, qui conquirent da renommée sans charlatanisme, sans réclame, à force de travail ; — Caroline Miolan-Carvalho que Gounod définit : « C’est Léonard de Vinci dans l’art lyrique ; » — Nilson toujours prête à secourir toutes les détresses, de sa bourse et de son talent ; — Nourrit, le Talma de la Musique, qui rêvait de fonder un opéra populaire, de devenir le maître de chapelle des classes pauvres ; si profondément sensible qu’il pouvait dire sans exagération : « Si le public savait ce qu’il peut obtenir de nous par des marques de sympathie, il nous tuerait ; » — Lablache, à l’heure de l’agonie, essayant de parler à sa fille, mais le son se perd sur ses lèvres : « Oh ! dit-il, non ho più voce, moro. Je n’ai plus de voix, je meurs ; » — Rubini, qui offre de chanter dans la chambre d’une dame presque mourante, fanatique de son talent ; — Rosine Stolz qui fait copier à Pompéi et exécuter au Vésinet la Maison de la chanteuse avec des meubles antiques du goût le plus pur ; — Frezzolini qui chante pour Rouvière malade, misérable, va le voir et lui fait l’aumône la plus délicate, l’aumône des paroles qui vont du cœur au cœur ; — ce sont (pourquoi ne pas les nommer ? ) ces excellens frères Lionnet qu’on avait surnommés : les comédiens ordinaires de Sa Majesté la Charité ; — et tarit d’autres dont les noms méritent d’être inscrits au Livre d’or des inspirations délicates, des nobles actions. Mais la générosité, le don de soi-même, la vibration sympathique, la communion d’âme avec la souffrance et l’élan pour la soulager, ne sont pas des vertus propres aux seuls virtuoses de l’Opéra : elles font partie de l’apanage des artistes, de toutes les variétés d’artistes, et bien peu se détournent de cette harmonie morale pour s’isoler dans la tour d’ivoire d’un égoïsme intégral. Ne semble-t-il pas que l’Eternel ait accordé, par décret nominatif, à l’artiste, le royaume de l’idéal, où la bonté se tient près de la beauté, où la consolation se penche vers la douleur ? Par lui-même ou par ses amis, n’a-t-il pas connu, mesuré la difficulté des débuts,