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cœur de cette Éminence. » Un tel appétit d’argent et de cadeaux, si en dehors de nos habitudes françaises, déplaisait fort à Louis XIV, qui n’y répondait pas sans se faire tirer l’oreille. A la Cour de Versailles, tous les yeux étaient tournés vers le trône de Pologne et l’on se repaissait de belles espérances. Conti, ne partageant pas ces illusions, remerciait Polignac de son zèle, mais non sans lui avouer les embarras que lui causaient les engagemens pris en son nom[1].

D’autre part, le Roi, trouvant excessives les profusions de son ambassadeur à Varsovie, l’invitait à les réduire sous peine d’être obligé de les désavouer. Il eût préféré que le nom du prince français ne fût divulgué qu’aux approches de l’élection. Mais comment réprimer les empressemens intempestifs du négociateur ?

La reine de Pologne, veuve de Sobieski, Marie-Casimire, était venue se réfugier à Dantzig[2]. De là, elle se trouvait à même de surprendre les agissemens du parti français et elle discréditait Conti de tout son pouvoir. Elle était cependant Française elle-même, fille d’un gentilhomme poitevin, sœur de la marquise de Béthune. Si elle combattait la cause de notre prétendant, c’est, dit-on, parce que Louis XIV avait refusé la pairie à son père Henri de Lagrange d’Arquien et parce que, reine élective et non héréditaire, elle n’avait pu être reçue à Versailles avec les mêmes honneurs que la reine d’Angleterre. Elle écrivait sournoisement à sa sœur que, selon toute apparence, l’élection de Conti devait avorter sans autre résultat que de lui faire substituer un prince ennemi du roi de France, « ce que n’étaient pas aujourd’hui, ajoutait-elle, les fils du roi Sobieski. » Sincère ou non, cette lettre de la veuve du dernier roi de Pologne, commentée à Versailles, ne laissa pas que d’y faire impression, et l’année 1696 se ferma dans l’esprit du Roi sur des réflexions assez sérieuses au sujet d’une entreprise qui lui parut désormais fort compromise.

Polignac adressait lettres sur lettres à Pontchartrain, le secrétaire d’Etat aux finances françaises, pour en obtenir de l’argent. « Monsieur, vous me trouverez sans doute bien importun, mais je vous supplie d’excuser la nécessité qui m’y oblige. » Les subsides n’arrivant pas, il lui fallut recourir à

  1. Conti à Polignac, 6 décembre 1696. A. E. Pologne
  2. Le 30 avril 1697. (Archives de Dantzig.)