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satisfaction de se voir débarrassé d’un rival amoureux de sa femme, ainsi que « du sentiment journalier de sa propre infériorité vis-à-vis de ce beau-frère[1]. » — « Qui fut à plaindre ? conclut Saint-Simon. Ce fut Mme la Duchesse. Elle aimoit. Elle étoit aimée. Elle ne pouvoit douter qu’elle ne le fût plus que l’éclat d’une couronne. Il falloit prendre part à une gloire si proche, à la joie du Roi, à celle de sa famille, qui l’observoit dans tous les momens, qui voyoit clair, mais qui ne put mordre sur les bienséances. » Secrètement elle était navrée et devait dévorer son chagrin.

Le public demeura partagé « entre la perte de ses délices et la joie de les voir couronnées[2]. » Mme de Maintenon s’intéressait vivement au sort de l’entreprise. « Elle triomphoit dans ses réduits[3]. » Elle écrivait[4] : « Il faut prier pour notre prince du sang ; car il est de l’intérêt de la religion et de l’État qu’il règne préférablement à l’autre. » Les adieux du partant à la famille donnèrent lieu à une scène touchante. Des larmes coulèrent. Mme de Conti avait espéré être du voyage. Le prince n’avait pas voulu l’y exposer. Devant une séparation qui pouvait être longue et cruelle, elle se montra plus ferme que les autres. « Elle crut, dit Sourches[5], qu’elle devoit se trouver digne de la grande fortune à laquelle elle aspiroit. Ce n’est pas qu’elle n’aimât tendrement son mari ; mais outre… que le désir d’être reine tenoit une grande place dans son cœur, elle étoit bien aise de le voir sortir de la Cour. Elle savoit qu’il y étoit amoureux jusqu’à la folie, et elle espéroit qu’à mesure que sa maîtresse s’éloigneroit de ses yeux, il s’éloigneroit aussi de son cœur. »

On devine les larmes que cette future absence, désormais inévitable et peut-être si prolongée, dut causer à l’idole. Mme de Caylus ne nous laisse pas ignorer que, de ce côté, les adieux furent aussi tendres « qu’on puisse se l’imaginer. »

Ce fut le 3 septembre[6]que Conti quitta Paris pour aller

  1. Saint-Simon.
  2. Idem.
  3. Idem.
  4. Lettre du 28 septembre (Mme de Maintenon, Correspondance générale, IV, 183). Mercure, septembre 1697, p. 279-286. Œuvres de Louis XIV, pp. 514-516.
  5. Sourches, Mémoires.
  6. Annales de la Cour, II, 270. Duc de Noailles, Histoire de Mme de Maintenon, t. IV, p. 396. Marquis de Lassay, Recueil de différentes choses, II, 129-137. Dangeau, t. V, 180-181.