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répond le rude marin, la terreur de ses équipages, toujours la pipe aux lèvres et l’apostrophe à la bouche. — Qu’auriez-vous donc fait alors ? — Moi ? reprend tranquillement Jean Bart. J’aurais fait mettre le feu au vaisseau. Mon fils avait l’ordre de se tenir prêt à obéir pour cela à mon signal. Nous aurions sauté en l’air et nous n’aurions pas été pris. — Le remède est pire que le mal, repartit le prince. Tant que je serai sur votre vaisseau, il faudra chercher un autre moyen d’échapper[1]. »

L’escadre arriva sans encombre le 10 au matin en vue des côtes de Norvège, et le 13 mouilla près d’Elseneur. Le Sund fut franchi le lendemain sans obstacle. Le roi de Danemark Christian V envoya des pilotes à Jean Bart et des rafraîchissemens à Conti. L’escadre défila à double portée de mousquet du château de Cronenbourg. « La reine danoise s’avança sur le bord de la mer, pour voir le prince qui était sur le tillac et qui fit saluer Sa Majesté de quinze coups de canon : à quoi la Reine fit répondre par neuf coups[2]. » Du rivage où elle contemplait l’escadre de Jean Bart, elle pouvait se dire : « Voilà la fortune de la France qui passe ! » Fortune bien éphémère peut-être !

L’Electeur de Saxe, esprit ardent, audacieux, jugeait que sa cause à lui dépendait uniquement de la force, l’ultima ratio était sa devise. Il envoya prier le roi de Danemark de s’opposer au passage de Conti. Son émissaire arrivait trop tard. D’ailleurs, Christian V, irrité contre l’Electeur, déclara vouloir rester neutre entre les compétiteurs au trône de Pologne.

Le calme plat et les courans contraires à la navigation obligèrent l’escadre française à mouiller en rade de Copenhague, jusqu’à ce que le vent permît de mettre à la voile pour Dantzig. Enfin, le 25 septembre, Jean Bart amena le prince à bon port devant cette ville allemande, et s’y embossa.

Les premières paroles de Conti aux envoyés polonais qu’il eut à recevoir furent pour se plaindre qu’on eût gâté sa cause par des mensonges, et pour déclarer qu’il voulait essayer de la rétablir en disant la vérité[3].

  1. Second supplément au Parlement français, 1755, p. 5-6.
  2. Gazette d’Amsterdam, n° LXXVI et LXXX. Gazette de Hambourg. Gazette de Paris, n° du 30 septembre. Mercure Galant, juillet 1697, p. 288. Dangeau, VI, 183-198. Faucher, Histoire de Polignac, I, 366-367.
  3. Cf. une lettre du 7 septembre 1697, publiée par M. Kemble dans ses State papers and Correspondance (1857), pp. 202-203. Collections d’autographes de M. de Stassart, par le baron Kervyn de Lettenhove, p. 90. Cité par Boislisle, Note des Mémoires de Saint-Simon.