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avait longtemps caressé, témoigne son mécontentement au malheureux ambassadeur et le rend responsable de la lenteur des affaires de Pologne. Il ne veut pas s’engager plus avant « sans savoir si son cousin le prince de Conty sera en estat de se maintenir sur le throsne, sans luy envoyer de troupes comme on en demande présentement, quoique les Polonais eussent, jusqu’à présent, gardé le silence sur cette condition dont l’exécution seroit absolument impossible. »

C’est en vain que Conti avait fait expédier en Pologne des lettres circulaires avertissant les Polonais des secours qu’il exigeait d’eux. Il n’obtint rien. La plupart des chefs de l’armée et des seigneurs étaient déjà gagnés à l’autre cause. Dès lors Saxe l’emportait, appuyé sur la force. Le prétendant français prit le parti de se rembarquer : dure extrémité pour l’orgueil du grand Roi, pour le nom du prince et pour la responsabilité de l’abbé.

Dans une lettre au primat de Varsovie, Conti marqua son chagrin de voir la Pologne assujettie à des troupes étrangères et la religion en péril dans cet infortuné royaume. Pour lui, ajoute-t-il fièrement, il est bien tranquille sur la préférence que l’on donne à son rival. « Quand on est prince du sang de France, on peut se passer d’être mieux ! »

Dans un autre message adressé à la République polonaise, il récrimine davantage. « On m’a manqué de parole. Ou m’a exposé à un affront, à la face de toute l’Europe. » Il termine sa lettre de mauvaise humeur, en assurant les Polonais que, s’ils ont besoin de lui, ils devront venir le chercher en France. C’est un congé en règle qu’il leur donne[1].

Coup de théâtre, stupeur à Versailles quand le comte de Portland fit savoir au maréchal de Rouf fiers la résolution prise par notre prétendant. « Ce fut un étrange rabat-joie[2]à toute l’armée qui prenait part à la gloire d’un prince dont elle admirait la valeur. » Dès lors, à Marly et à Paris, l’affaire de Varsovie fut regardée comme un avortement. On attendit de jour en jour, mais sans le moindre enthousiasme, le retour-de l’escadre de Jean Bart au port de Dunkerque. On murmurait tout bas et on commentait les diverses causes de l’échec : la parcimonie du Roi, le peu d’entrain du roi élu, qui aurait pu tout au moins tirer l’épée, l’attitude inattendue de Dantzig et de la

  1. Gazette de France, n° 48 et 49.
  2. Annales de la Cour, p. 207.