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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/448

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et, sur une foule de points obscurs de notre histoire littéraire, il a patiemment fourni ou préparé les solutions exactes et neuves. C’est lui qui, il y a près de vingt ans, s’avisait que certaine « correspondance secrète » de Fénelon avec Mme Guyon, laquelle passait pour apocryphe, était parfaitement authentique, et sa démonstration, acceptée alors du seul Brunetière, reprise et fortifiée depuis par M. Maurice Masson, est aujourd’hui pleinement acquise à l’histoire. C’est à lui que M. Gustave Lanson dédiait naguère une très remarquable édition critique des Lettres philosophiques, — à lui « qui, par ses travaux sur Voltaire et J.-J. Rousseau, a démontré la nécessité d’une révision critique des textes littéraires du XVIIIe siècle et adonné des modèles excellens de méthode. » Je passe d’autres titres de M. Eugène Ritter à notre sympathie et à notre gratitude.

M. Ritter avait un frère qui, mort en 1908, à l’âge de soixante-dix ans, a laissé à ceux qui l’ont approché le souvenir d’un esprit extrêmement ingénieux et hospitalier, plus fin que vigoureux, plus réceptif que constructeur, d’une âme délicate, discrète et charmante. Sa vie, toute simple et tout unie, est entièrement dépourvue d’événemens extérieurs ; elle peut tenir en quelques lignes. Né à Genève en 1838, il y fit de bonnes études au Collège et à l’Académie ; il se destinait au ministère pastoral et entra à la Faculté de théologie ; mais la lecture de Vinet et surtout de Pécaut, de Sainte-Beuve et de Renan, lui ayant fait perdre peu à peu la foi au surnaturel, il renonça en 1862 à la carrière qu’il avait tout d’abord choisie. Divers préceptorats en Souabe, en Hollande, plusieurs séjours en Allemagne le firent entrer en contact avec la pensée germanique : il s’éprit vivement de Strauss. En 1866, nous le retrouvons professeur de français et de latin au collège de la petite ville de Morges, sur les bords du lac de Genève ; il y resta jusqu’en 1879. Une surdité précoce l’ayant forcé à quitter ces modestes fonctions, il se fixa d’abord à Morges, puis à Genève, et c’est là qu’il vécut dans la retraite les dernières années d’une vie qui fut assombrie par beaucoup de deuils et par toutes les misères d’une vieillesse prématurée.

Voilà sans doute une destinée bien humble et sans grand relief. Mais les existences les plus bruyantes ne sont pas celles qui recouvrent les idées les plus hautes et les sentimens les plus rares. Timide, de santé d’ailleurs chétive, peu fait pour l’effort continu et volontaire que suppose de nos jours la