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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/466

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les romanciers allemands, depuis un demi-siècle, le modèle aimé, admiré et imité entre tous, au point que son influence littéraire dans sa patrie même se trouve aujourd’hui amplement dépassée par l’action qu’il exerce à Berlin ou à Vienne. Le plus grand et le plus durable succès de tout le roman contemporain en Allemagne, le fameux Jœrn Uhl de M. Gustave Frenssen, — peut-être s’en souvient-on ? — n’était rien qu’une, adaptation allemande du sujet et presque des personnages de David Copperfield[1] ; et de la même façon j’ai l’idée que M. Georges Hermann et ses compatriotes se montreraient quelque peu étonnés d’entendre évoquer le nom de Dickens à propos d’un passage tel que celui que je viens de traduire, n’y ayant vu pour leur part que l’emploi, d’ailleurs vraiment très agréable et par instans très original, d’un ton de narration ou de description que vingt autres de leurs conteurs nationaux leur ont rendu familier.

C’est assez dire que l’intérêt principal qu’offre pour nous aujourd’hui le nouveau roman de M. Georges Hermann ne consiste pas dans la manière dont le jeune romancier berlinois, après les Fritz Reuter, les Théodore Fontane et les Gustave Frenssen, s’est assimilé à son tour les artifices d’expression poétique créés autrefois par le puissant et délicieux génie du romancier anglais : sans compter que déjà l’œuvre précédente de M. Hermann, Jettchen Gebert, aurait eu de quoi nous révéler très suffisamment, tout ensemble, l’importance du rôle joué par l’étude de Dickens dans la formation littéraire du talent de son auteur et ce que ce souple talent avait su, dès l’abord, ajouter d’observation et d’émotion personnelles à sa très habile appropriation d’un art désormais quasi « naturalisé » dans la littérature d’outre-Rhin. Ce qui, par-dessus tout, nous frappe et nous surprend dans son Kubinke, ce qui vaut à ce livre, depuis son apparition, un très vif succès de curiosité, c’est que M. Hermann y ait employé le talent ainsi formé au traitement romanesque d’un sujet le plus différent possible des sujets traités d’ordinaire par Dickens lui-même et par ses imitateurs ou continuateurs allemands, — et certes du sujet que l’on aurait le moins attendu de l’auteur de cette simple et tragique idylle bourgeoise qu’était, précisément, la Jettchen Gebert que je viens de nommer.

Peut-être n’a-t-on pas oublié que, voici quelques années, ayant eu à examiner un grand nombre de romans nouveaux de l’école allemande, je n’en ai point trouvé qui, à beaucoup près, égalassent en

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1902.