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chef, personne n’aurait été étonné s’il y avait introduit des modifications plus profondes. Peut-être ne connaissait-il pas encore très bien tous ses collègues ; il avait vécu à côté d’eux, simple ministre comme eux, et si des difficultés s’élevaient entre les personnes, ce n’est pas sur lui qu’en retombait le poids, mais bien sur M. Clemenceau, qui le soutenait à sa manière, c’est-à-dire avec une allègre désinvolture. Devenu président du Conseil, M. Briand s’est aperçu sans doute que les caractères de tous ses collaborateurs ne s’accordaient pas avec le sien. On soupçonne, d’après ce qui vient de se passer, qu’il n’a pas eu avec tous la vie très facile, et qu’il a profité de la première occasion pour faire maison nette. Faut-il lui en faire un grief ? Non, certes. Ce n’est pas le reproche que nous lui adresserons. Il a voulu être le maître chez lui ; il s’est entouré pour cela d’hommes dont il était sûr ; il a bien fait. Tout au plus peut-on regretter qu’il n’ait pas donné plus de relief et d’éclat à son ministère. Ceux qui connaissent bien le monde politique savent qu’il y a là quelques hommes de mérite, mais leur mérite n’est pas encore connu du grand public. Si, dans la composition de son Cabinet, M. Briand a seulement cherché de la sécurité pour lui, il l’aura sans doute trouvée ; mais s’il a voulu donner de la force à son gouvernement, l’avenir seul montrera s’il y a réussi. Il y a eu certainement de sa part quelque hardiesse à laisser en dehors du Cabinet tous les hommes qui ont un grand talent et une grande situation dans le Parlement. Ce n’est pourtant pas encore là ce que nous lui reprocherons ; mais pourquoi, puisqu’il avait pris le parti de faire un Cabinet sans caractère bien accentué, n’a-t-il pas poussé cette conception jusqu’au bout ? Alors son Cabinet n’aurait sans doute provoqué aucun enthousiasme, mais il n’aurait du moins choqué personne, à l’exception des socialistes unifiés qui n’étaient pas à ménager, puisqu’on savait d’avance qu’ils ne s’accommoderaient de rien.

Disons-le franchement, il y a un point faible dans le cabinet, c’est M. Lafferre. Pourquoi M. Briand est-il allé chercher M. Lafferre et lui a-t-il confié le portefeuille du Travail ? Si quelques-uns de ses collègues ne sont pas assez connus, M. Lafferre l’est trop ; mais il l’est par une circonstance de sa vie qu’il aurait mieux valu, en ce moment, ne pas rappeler. Personne n’a pu oublier l’immense scandale provoqué, il y a quelques années, par l’affaire des fiches : le gouvernement de cette époque en restera dans l’histoire marqué au front d’un signe de déshonneur. Nous nous sommes trouvé au Palais-Bourbon le jour où le dossier des fiches a été apporté à la tribune ; l’orateur,