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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/479

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M. Guyot de Villeneuve, de sa voix monotone, enlisait successivement chaque pièce devant la Chambre qui, nous le disons à son éloge, était atterrée. La désapprobation était unanime, et le mot d’ « abject » que M. Millerand a prononcé plus tard aurait pu seul exprimer le sentiment qui était dans toutes les consciences. Eh bien ! un seul homme, — non pas au premier moment, car personne alors ne l’aurait toléré, — mais après quelques jours de silence obligé, un seul homme est venu prendre la défense du système des fiches, et c’est M. Lafferre. M. Briand l’en a excusé, presque approuvé. — M. Lafferre, a-t-il dit, étant grand maître de la franc-maçonnerie, aurait commis une « lâcheté » s’il n’avait pas pris la défense de l’association qu’il représentait. Triste excuse, on en conviendra ! Elle rejette sur la franc-maçonnerie tout entière la responsabilité dont M. Lafferre reste écrasé. Et triste situation, ajouterons-nous, que celle d’un homme politique qui s’est placé dans l’alternative de commettre une lâcheté ou une immoralité. Le courage que M. Lafferre a déployé ce jour-là n’est pas de ceux qu’on récompense par un portefeuille, surtout dans un ministère d’apaisement. Comment expliquer un pareil choix ? Est-il besoin de dire que M. Briand n’a pas entendu justifier les fiches ? Sa préoccupation a été tout autre ; il a pensé que l’incident des fiches était déjà loin, et que la franc-maçonnerie était une force qu’il était utile de capter. Mais il s’est fâcheusement trompé. Nous avons dit que, dans l’interpellation sur la grève, il avait prononcé un mot inutile ; dans la composition de son Cabinet, il a fait un choix qui, entre autres défauts, avait celui d’être inutile. On ne le lui demandait pas, personne ne s’y attendait, M. Lafferre en a été probablement le premier surpris. Ce choix ne vaudra pas à M. Briand une voix de plus à l’extrême gauche, et pas beaucoup plus parmi les socialistes non unifiés : en revanche, il refroidira beaucoup de sympathies dans les autres parties de l’Assemblée. On soutiendra le ministère quand même. La politique n’est pas une affaire de sentiment, mais de froide raison. Un détail, quelque grave qu’il soit, ne doit pas l’emporter sur l’ensemble dans une situation aussi dangereusement compliquée que la nôtre. Un jour viendra pourtant où M. Briand s’apercevra que la collaboration de M. Lafferre est pour lui une faiblesse, et non pas une force. Sa force est ailleurs.

On a dit beaucoup qu’au moment où nous sommes, les hommes importent peu. Laissons donc de côté les personnes et voyons les choses ; voyons la déclaration ministérielle. Non pas que nous attachions une excessive importance à ce document : il appartient à