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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/491

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Reille, l’interrompit : « C’est élémentaire de lire, en temps de guerre, les journaux du pays que l’on combat. » À quoi j’ajoutai : « Cela tient lieu d’espions. » Jules Ferry continua néanmoins : Il n’était pas à craindre que des indiscrétions pussent avoir quelque effet sur le succès d’une campagne. La seule précaution à prendre était de ne pas admettre des reporters dans les quartiers généraux, comme cela se fait constamment. Avec cette seule mesure, nous pouvions être certains que nos plans de campagne ne seraient pas révélés. La loi inspirée par la peur des journalistes était la suppression complète de la publicité. « La publicité est un droit, ceux qui ont leurs fils, leurs époux à la bataille ont le droit de tout savoir. Tout citoyen français a le droit de savoir comment les opérations sont conduites, de les connaître et même de les critiquer. Il serait plus viril de la part du gouvernement et de la Chambre de se montrer confians dans l’opinion publique. J’ai le droit de dire que le projet qui vous est présenté est humiliant et injurieux pour la nation française. (Violens murmures sur un grand nombre de bancs.) Oui, humiliant, parce qu’il respire une profonde défiance de l’opinion publique et de la puissance régulatrice qui lui est propre. »

La loi eut contre elle dix-neuf voix de la Gauche, notamment celle de Gambetta. Il s’est chargé lui-même quelques semaines plus tard de justifier la mesure contre laquelle il avait voté. S’étant constitué le directeur de la défense nationale, il la reproduisit en l’aggravant : « Tout compte rendu ou tout récit d’opérations militaires, de mouvemens de troupes, d’actes de guerre, autres que ceux publiés par l’autorité militaire, sont interdits jusqu’à nouvel ordre. Tout journal qui contreviendra à-cette interdiction sera suspendu. » (28 novembre 1870.) Il alla même plus loin : « Le gouvernement fait appel au patriotisme de la presse, et il déclare que, si de semblables infractions se renouvellent, il sera dans la nécessité de les déférer à la cour martiale. » (7 novembre.) Les rigueurs de Gambetta étaient plus intelligentes que les nôtres parce qu’elles étaient plus rudes. A l’égard des journaux, toute demi-mesure est risquée ; plus le coup qu’on leur porte est vigoureux, plus il est sans danger. Fermez-leur la bouche à demi, ils remplissent l’air de leurs clameurs ; fermez-la-leur tout à fait, ils vous laisseront tranquille.