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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/496

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d’ordinaire glacial, se dégela pour lui souhaiter l’heureuse bienvenue. L’éminent sénateur Summer, très favorable à notre ministère, l’avait prié de considérer sa maison comme la sienne et de venir à toute heure du jour l’entretenir de ses affaires. De toutes parts, l’accueil était exceptionnel. Les Américaines, toujours avides de nouveautés, sachant que Paradol était de l’Académie française, se réjouissaient de connaître un membre de la célèbre compagnie et de le voir revêtu de l’habit aux palmes vertes. Mais la cause de la France n’inspirait pas les mêmes sympathies que la personne de son représentant. Paradol ne trouvait plus les Etats-Unis de La Fayette, de Washington, de Laboulaye ; il se heurtait aux États-Unis devenus allemands ; tout y était acquis à la cause de la Prusse. Il eût fallu, pour dominer cette situation, une complète possession de soi-même ; c’était précisément le don natif de Paradol, car, en étant toujours très passionné, il demeurait aussi maître de ses facultés que s’il n’eût rien ressenti. Jamais, on peut le dire, il n’a eu de ces traits d’un goût excessif que l’intempérance de la passion arrache aux plus grands maîtres ; sa correction était imperturbable, soutenue, et le bouillonnement intérieur ne se marquait que par le mouvement réglé, mais incessant, qui soutient et emporte le style. Par malheur, depuis son arrivée à Washington, il n’était plus dans son état normal. Washington, l’été, avec ses grandes rues vides où l’on est dévoré par la poussière et le soleil, est toujours lugubre. Cette année-là, la chaleur atteignait 40 degrés ; la solitude était plus écrasante que de coutume ; les suicides, les cas de mort subite par transport au cerveau se multipliaient. Cette chaleur torride, cette solitude étouffante le foudroyèrent. Il voulut repartir aussitôt. Berthemy, son prédécesseur, l’en dissuada.

Cependant Chambrun ne tarda pas à être frappé du déséquilibre de cette belle intelligence. A l’annonce de la déclaration de guerre, il avait dit : « Voilà la déclaration de guerre, cela sera sérieux, » mais il ne paraissait préoccupé que de régler la question des contrebandes de guerre. Chambrun avait beau s’évertuer à lui en expliquer les points juridiques ; il ne saisissait pas. « Ah ! quand on a été jusqu’à quarante ans en dehors des affaires, on les trouve bien ennuyeuses ! » Il avait signé une courte dépêche, rédigée par le chancelier de l’ambassade, Desjardins ; il voulut en écrire lui-même une plus développée. « Elle est