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opinions extrêmes, et, pour ne perdre aucun chaland, rédigeaient à la fois une correspondance conservatrice et une correspondance révolutionnaire. Chacun d’eux courait une partie de la journée, écoutant aux portes et se glissant partout pour recueillir leur butin ; le soir, ils se réunissaient dans un estaminet du boulevard et, en buvant des chopes, échangeaient leurs renseignemens, préparaient les nouvelles qu’ils lançaient ensuite dans les journaux étrangers de toutes nuances. Beaucoup étaient des agens de Bismarck ; ils concertaient leur action avec les agens secrets installés dans presque tous les journaux parisiens. Grâce à leur impulsion mystérieuse bien concertée, ce ne fut plus à Berlin que s’imprimèrent les journaux les plus prussiens et d’où partirent les nouvelles les plus contraires à notre cause.

Les révolutionnaires ne se contentaient pas de nier notre bon droit, de défendre celui de l’étranger, de défigurer nos intentions ; ils souhaitaient notre défaite et la prédisaient. On peut en croire Jules Simon : « Nous avions, sous l’Empire, des intransigeans dans la presse et même au Corps législatif, qui partaient de ce principe que si le nouveau Gouvernement devenait supportable, on le supporterait. Chaque fois que l’Empereur faisait quelque concession, ils étaient au désespoir ; ils disaient que la France ne pouvait être sauvée qu’à force de misère. Quand la guerre maudite fut déclarée, j’entendis l’un d’eux s’écrier : « Ah ! si nous pouvions être battus ! » Et cette défaite qu’ils désiraient, ils y travaillaient par tous les moyens. Ils exprimaient des vœux pour le succès des armées prussiennes, et souhaitaient que « les premières balles frappent très haut. » Quelques-uns prédisaient que dans trois semaines les Prussiens seraient à Paris[1]. Delescluze qui, de Bruxelles, rédigeait le Réveil, écrivait à ses collaborateurs dans une lettre surprise à la poste : « Faites bien comprendre au pays que la guerre qui se prépare n’a rien de national. Il nous faut reconstituer des comités électoraux, ce qui sera facile à la veille des élections municipales. Il faut, en outre, s’appuyer sur l’Internationale, en relier les différentes fractions et agir dans les ateliers, de manière à exciter l’esprit de résistance et même à préparer un mouvement à l’intérieur, ce qui serait possible pendant que notre année serait occupée au

  1. Rapport de police du 30 juillet.