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mon retour en France je me suis rendu chez l’intendant général Blondeau, administrateur de la guerre de 1870, devenu conseiller d’État de la République, et auprès du général Dejean, le dernier ministre de la Guerre de notre Cabinet, et je leur ai redemandé : « Ne vous êtes-vous pas trompés en nous affirmant que nous étions prêts ? » Avant même que ma question fût terminée, ils me répondaient : « Oui, nous l’étions ! » Et ils appuyèrent leur assertion par de longues et concluantes explications. Je m’adressai ensuite au maréchal Le Bœuf. Il refusa d’abord de parler. « J’entends, dit-il, couvrir l’Empereur et demeurer responsable de tout ; il ne me plaît pas de me défendre. — Vous pouvez en éconduire ainsi d’autres, maréchal, répondis-je, mais pas moi. Vous m’avez affirmé que nous étions prêts. J’ai eu foi en votre parole, j’ai le droit de vous en demander compte. » Le maréchal comprit ce qu’il me devait. Pendant de longs jours, dans sa propriété du Moncel, cartes et documens en mains, appuyant ses dires par des notes précises, il me raconta, non seulement la préparation, mais toutes les premières opérations dont il avait été le coopérateur responsable.

En même temps, l’Assemblée nationale poursuivait des recherches très approfondies sur l’état de nos forces et de notre matériel en 1870, et leur conclusion, malgré des réserves inspirées par la passion politique ou la timidité d’esprit, confirment les dires de Blondeau, de Dejean et de Le Bœuf. Deux autres enquêtes, non moins approfondies, furent faites, l’une par le Conseil présidé par Baraguay-d’Hilliers pour juger des capitulations, l’autre par le Conseil de guerre présidé par le Duc d’Aumale pour juger Bazaine. Toutes les deux confirmèrent les résultats donnés par l’enquête parlementaire. Appuyé sur mes informations personnelles et sur trois documens officiels, je ne crois pas être téméraire en prononçant que le maréchal Le Bœuf, l’intendant général Blondeau, le général Dejean, ne se sont pas trompés et ne nous ont pas trompés et qu’ils étaient dans le vrai en affirmant que nous étions prêts.

La plupart de nos disputes sont grammairiennes et souvent l’on n’est en désaccord que faute de s’entendre sur les termes dont on se sert. Il faut donc bien préciser la portée de ces mots être prêts. Cela ne signifie pas que, dès le 15 juillet, jour où la guerre fut décidée, et le 19, jour où cette décision fut notifiée à la Prusse, nous fussions en mesure de commencer les