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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/594

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comprenant 50 sections locales réparties sur 35 départemens. Tout en pensant que la plupart de ces institutions doivent être assez rudimentaires, elles suffisent pour qu’on ne soit pas fondé à dire que les syndicats ouvriers, âgés d’un quart de siècle environ, ont complètement dédaigné les attributions que leur conférait l’article 6 de la loi du 21 mars 1884.

Il faut bien reconnaître, toutefois, que l’activité syndicaliste s’est surtout signalée dans un domaine tout différent. Dès les premières années qui ont suivi le vote de la loi, il est apparu qu’un grand nombre de syndicats ouvriers dédaignaient systématiquement les œuvres professionnelles pacifiques et entendaient se transformer en instrumens de la lutte de classes. Les syndicats manifestement révolutionnaires ont rapidement accaparé la scène publique et ont visé à la prépotence, à l’absolue domination du monde du travail. Un des rares ministres prévoyans et énergiques, qu’ait possédés la France depuis trente ans, M. Charles Dupuy, ministre de l’Intérieur et président du Conseil, ému des manifestations bruyantes de certains syndicats ouvriers ayant leur siège à la Bourse du Travail de Paris, fit faire, en 1893, une enquête à leur sujet. Il en résulta que la plupart de ces syndicats étaient illégalement constitués, leur bureau n’ayant pas fait les déclarations exigées par la loi. On a vu plus haut combien restreintes et faciles sont les formalités prescrites pour la légalité des syndicats par la loi de 1884 ; néanmoins, les syndicats révolutionnaires, qui foisonnent, font profession de les méconnaître et de ne pas s’y soumettre. Procédant avec modération, M. Charles Dupuy, par l’intermédiaire du préfet de la Seine, fit mettre les syndicats irréguliers en demeure de remplir les formalités légales et, comme ils s’y refusaient, il fit fermer, plutôt que de laisser violer la loi, la Bourse du Travail de Paris.

C’était là une leçon qui eût mérité d’être suivie : s’il en eût été ainsi, si, à toutes leurs usurpations on eût opposé les répressions légales, tout insuffisantes qu’elles fussent, il est certain que les syndicats se seraient moins écartés de la fonction spéciale que la loi leur assignait : tout au moins, la propagande révolutionnaire n’eût-elle pu s’y organiser au grand jour, avec la tolérance des pouvoirs publics et user ouvertement d’intimidation et de violences sur les ouvriers paisibles. Malheureusement, la fermeté de M. Charles Dupuy ne fut aucunement imitée