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par ses successeurs. Tout au contraire, L’un d’eux, et non le moins célèbre, M. Waldeck-Rousseau, entra en coquetterie déclarée avec les syndicats révolutionnaires ; pour lutter contre les nationalistes et pour froisser et contrecarrer les progressistes, dont il avait été naguère le chef, il laissa parader les syndicats révolutionnaires avec leurs drapeaux rouges, devant les tribunes officielles et le président de la République, à l’inauguration du monument de Dalou sur la place de la Nation. M. Georges Sorel va jusqu’à dire qu’il y avait un accord formel, un concert arrêté, à ce sujet, entre M. Waldeck-Rousseau et les syndicats rouges[1]. Nous laissons à l’écrivain socialiste la responsabilité de cette assertion ; tout au moins, s’il n’y eut pas accord, il y eut tolérance et en quelque sorte sympathie momentanée.

Il en a été ainsi de 1898 jusqu’aux heures toutes récentes : le fameux bloc de gauche fut sinon bienveillant, du moins indulgent pour les syndicats révolutionnaires. Il les laissa étendre leur action, sans aucun effort pour l’entraver et la contenir dans les limites légales. Les violences des grèves ne furent ni prévenues, ni châtiées ; l’odieuse « chasse aux renards, » où l’on outrageait, molestait et volait même les malheureux qui ne se soumettaient pas aux injonctions des syndicats, se poursuivit pendant toute une série d’années sans être, en général, gênée soit par la police, soit par les magistrats.

On vit, à ce sujet, des faits de la plus rare extravagance : au cours de l’été de 1908, lors des grèves sanglantes et répétées de Draveil, un des agitateurs, payé 8 fr. 50 par jour, comme cela a été reconnu, pour faire de la propagande gréviste, avait été condamné, quelque temps auparavant, à quatre mois de prison pour vol et était parvenu à esquiver sa peine en se dérobant à la justice. Dans une bagarre, la police mit la main sur lui ; il était naturel, semble-t-il, de le retenir pour lui faire faire ces quatre mois de prison encourus pour délit de droit commun ; mais, après mûre délibération, le gouvernement le fit relâcher, considérant qu’un agitateur gréviste, même condamné pour vol, doit jouir d’un sauf-conduit pendant tout le temps de la grève. Et voici un autre acte qui fait encore plus ressortir la prodigieuse faiblesse gouvernementale : au même moment, le gouvernement ordonnait des poursuites contre un

  1. Georges Sorel, Réflexions sur la violence, pages 189 et 190.