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alors quatre-vingt-deux ans, dont les titres assurément n’étaient pas plus spéciaux que les siens, allait donner sa démission de secrétaire perpétuel, en 1739 ; l’Académie française, pleine alors, comme en tout temps, d’utilités littéraires, l’avait déjà repoussé ; il lui parut plaisant, lui poète, auteur du Mondain et du Temple du Goût, de se voir le confrère des Clairaut et des Maupertuis, — plaisant, et d’ailleurs encore plus avantageux. Car en ce temps-là, comme dit Condorcet, les Académies étaient de sûrs asiles non seulement contre « l’armée des critiques hebdomadaires, » que l’on supprimait quand ils attaquaient un académicien, mais aussi, dans une certaine mesure, contre l’arbitraire du pouvoir lui-même. Il y a toujours ainsi, dans les démarches de Voltaire, par-dessous les raisons apparentes, une raison secrète, et s’il faut quelquefois la chercher dans sa vanité, bien plus sûrement la trouve-t-on toujours en la cherchant dans son intérêt. Quoi qu’il en soit, averti sans doute qu’on lui fermerait l’Académie des sciences, comme l’autre, et précisément pour les raisons qu’il y avait d’entrer, il en avait à peine formé le projet qu’il y renonçait. D’autres visées lui étaient effectivement survenues, et sa fortune, il le croyait du moins, allait prendre une face nouvelle.

Quatre ans auparavant, dans les derniers jours du mois d’août 1736, tandis que l’on cabalait à Paris contre lui, il avait reçu d’Allemagne l’épître la plus flatteuse et la plus inattendue : « Monsieur, lui disait-on, quoique je n’aie pas la satisfaction d’être connu de vous, vous ne m’en êtes pas moins connu par vos ouvrages. Ce sont des trésors d’esprit, si l’on peut s’exprimer ainsi, et des pièces travaillées avec tant de goût, de délicatesse et d’art, que les beautés en paraissent nouvelles, chaque fois qu’on les relit… » La lettre continuait sur ce ton, plusieurs pages durant, louant tour à tour la Henriade, la Mort de César, le Temple du Goût, et se terminait par ces mots, qui passaient encore les autres : « Si mon destin ne me favorise point jusqu’au point de pouvoir vous posséder, du moins puis-je espérer de voir un jour celui que depuis si longtemps j’admire de si loin, et de vous assurer que je suis, avec toute l’estime et toute la considération dues à ceux qui, suivant pour guide le flambeau de la vérité, consacrent leurs travaux au public, Monsieur, votre affectionné ami. » Toutes ces belles choses étaient enfin signées FREDERIC, prince royal de Prusse. C’est la première lettre en effet