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maintenant éventées, après avoir vingt ans amusé les rieurs, commençaient à les lasser eux-mêmes et ne servaient plus qu’à le déconsidérer. On ne pardonnait plus au gentilhomme ordinaire, à l’académicien, à l’homme de plus de cinquante ans les incartades que l’on avait jadis passées si aisément au petit Arouet. Ses procès, ses querelles, ses disputes fatiguaient également l’attention. Plus favorisé de la fortune et des circonstances qu’aucun homme de lettres, il se faisait moquer quand il accusait son temps d’ingratitude ou ses rivaux d’envie. On pensait que le vieux Crébillon, dont il avait juré de refaire toutes les pièces, avait plus à se plaindre de lui que lui de Crébillon. On le trouvait importun, et même indécent, quand du fond de sa loge, aux représentations de son Oreste, il gour mandait à voix haute les spectateurs qui ne l’applaudissaient point. D’autres encore lui reprochaient qu’on ne voyait point clair dans son jeu, que sa situation n’était pas nette, que sa philosophie ne l’empêchait point de courtiser les maîtresses. Et il y en avait enfin qui ne s’accommodaient point de la familiarité de ses relations avec Frédéric, puisque, quand il partira pour Berlin, on criera dans les rues de Paris son portrait ou sa caricature : « Voilà Voltaire, le fameux Prussien ! Voyez-le avec son bonnet de peau d’ours ! A six sols, le fameux Prussien ! » Ce n’était pas une petite affaire que de remonter ce courant, et il y allait falloir, avec bien de l’adresse, bien du bonheur aussi.

Car les plus sévères ou les moins indulgens, c’étaient peut-être les nouveaux philosophes, les d’Alembert, les Diderot, les Rousseau, tous moins âgés que lui de dix-huit ou vingt ans, tous plébéiens de mœurs comme d’origine, tous encore étrangers ou rebelles à ces ménagemens dont Voltaire, pour les faire passer, enveloppait ses hardiesses. Celui-ci, qui affectait de ne pas lui donner son nom même de Voltaire, lui reprochait sa condescendance au faux goût de son temps : « Dites-nous, célèbre Arouet, combien vous avez sacrifié de beautés mâles et fortes à notre fausse délicatesse ! et combien l’esprit de la galanterie, si fertile en petites choses, vous en a coûté de grandes ! » Celui-là lui reprochait le ton de courtisanerie qui gâtait ses meilleurs ouvrages : « Ce que je ne saurais lui passer, disait-il, c’est cette avidité démesurée avec laquelle il a toujours travaillé à capter la faveur des grands, qui l’a si souvent avili aux yeux