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il était facile, en s’y prenant bien, d’intéresser le lecteur à ces aventures extraordinaires, mêlées de succès et de revers, eux-mêmes suivis d’un dénouement tout fait : la mort tragique, et mystérieuse de son héros sous les murs de Frederickshall. Il y a si bien réussi que l’on fit dans le temps, que l’on fait quelquefois encore difficulté de croire que les choses se soient passées comme il les a contées. Et, effectivement, sa façon de mettre son personnage en scène, de ramasser sur lui tout l’intérêt, de le rendre principal acteur jusque dans les occasions où il ne fut qu’indirectement et secondairement mêlé, tout cela, c’est de l’art, mais un art qui tient moins de la vérité que d’un agréable mensonge, plus conforme aux traditions du théâtre français qu’à celles de l’histoire, et moins digne enfin d’un émule de Bossuet que de l’auteur d’Œdipe et de Zaïre. Il devait bientôt s’élever de lui-même à une conception plus sévère de l’histoire.

C’est en 1732, dans une lettre à son ami Thiériot datée du mois de mai, que nous le voyons parler pour la première fois de son Siècle de Louis XIV. Sans doute, en écrivant le récit des aventures de son Charles XII, l’inutilité de tant d’argent, de bravoure et de sang dépensés lui était apparue clairement ; et ce qui confirme la supposition, c’est cette phrase que nous lisons encore dans son Discours sur sa propre Histoire : « Telle est la misérable faiblesse des hommes, qu’ils regardent avec admiration ceux qui ont fait du mal d’une manière brillante et qu’ils parleront plus volontiers du destructeur d’un empire que de celui qui l’a fondé. » Nous plaçons dans nos éditions ce Discours en avant de l’Histoire de Charles XII ; il est donc bon de savoir que c’est à la fin du tome second de l’édition originale qu’il parut pour la première fois, formant ainsi comme une espèce de conclusion ou de résumé de tout l’ouvrage. Mais une autre phrase y précisait encore davantage la pensée de Voltaire : « Certainement il n’y a point de souverain qui, en lisant la vie de Charles XII, ne doive être guéri de la folie des conquêtes. Car où est le souverain qui pût dire : J’ai plus de courage et de vertus, une âme plus forte, un corps plus robuste ; j’entends mieux la guerre que Charles XII ? Que si, avec tous ces avantages, après tant de victoires, ce roi a été si malheureux, que devraient espérer les autres princes qui auraient la même ambition, avec moins de talens et de ressources ? » Le