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conception de l’État moderne, égalitaire et athée, il servait la cause de l’humanité. C’est ce que l’on ne comprendra pleinement qu’un peu plus loin, si nous réussissons à dégager de ses nombreux écrits historiques sa conception de l’histoire et de la philosophie de l’histoire. Le moment en est arrivé, puisque c’est effectivement pendant son séjour à Berlin qu’il a publié son Siècle de Louis XIV et achevé de relier par-là les parties successives de son Essai sur les mœurs…….[1].

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D’autres ont pu, comme Carlyle lui-même, qui parlait tout à l’heure, se perdre ou s’abîmer dans ce que l’on nommerait assez bien la mystique de l’Histoire : il manque décidément à Voltaire de l’avoir soupçonnée seulement, — et l’une des qualités que l’on vante le plus en lui [la clarté] n’est pas très éloignée d’être l’un de ses pires défauts.

Oserai-je ajouter qu’il en est de l’agrément si vanté de ses Histoires comme de leur clarté ? C’est du moins ce qui m’a frappé toutes les fois que depuis le collège il m’est arrivé de relire son Charles XII. Pour la justesse, pour la sobriété, pour la rapidité du style, quelques narrations en sont devenues à bon droit « classiques. » C’est d’ailleurs de l’histoire suffisamment exacte, étant de l’histoire presque contemporaine, dont les témoins vivaient, régnaient encore, à l’époque où l’écrivait Voltaire.

Et, après tout, son Charles XII est demeuré pour nous le singulier personnage dont l’allure héroïque et folle avait attiré-sur lui l’attention de l’historien. Mais enfin, c’est de l’histoire romanesque, de l’histoire trop arrangée, de l’histoire dont l’agrément même semble nuire à sa véracité, quelque chose de très supérieur et pourtant d’analogue à ces Mémoires dont Courtilz de Sandras avait inondé la librairie du XVIIe siècle, ou, si peut-être on trouvait la comparaison désobligeante, quelque chose d’analogue aux « nouvelles historiques » de l’abbé de Saint-Réal : Don Carlos, par exemple, ou La conjuration des Espagnols contre Venise. Auteur dramatique, ce qui a séduit Voltaire dans le sujet de Charles XII, c’est évidemment comme

  1. [Ici prennent fin les placards conservés par M. Jusserand. Le manuscrit donne en plus les quelques pages qui suivent. Malheureusement, après les mots il servait, en préparant l’avènement (voyez ci-dessus), il y manque cinq feuillets, environ cinquante lignes d’impression. — J. B.]