Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/648

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intime des Roumains avec les Russes depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la révolution roumaine de 1848, sont autant d’autres causes qui ont contribué à la diffusion très rapide des idées et de l’influence françaises en Roumanie. Le français devint la langue courante de la société polie ; l’Encyclopédie et les œuvres de Voltaire trouvèrent de nombreux lecteurs dans les deux Principautés ; on se mit à traduire en roumain presque tous les auteurs classiques français ; enfin, dès 1802, un nombre de plus en plus considérable de jeunes gens de nationalité roumaine prirent le chemin de Paris pour y faire leur éducation. Lorsque Alecsandri y arriva en 1834, il retrouva quantité de ses compatriotes qui suivaient déjà les cours des écoles et des facultés publiques. Son père le destinait à la médecine, et, dans son désir de se conformer aux volontés paternelles, le jeune homme, après s’être fait recevoir bachelier ès lettres, fréquenta pendant quelques mois le laboratoire de Gaultier de Claubry, répétiteur de chimie à l’Ecole polytechnique, et éditeur du Cours de chimie de Gay-Lussac. Mais il avait déjà trop d’imagination, et dans l’imagination trop de fantaisie, pour se plier volontiers aux théories abstraites des sciences. La nomenclature chimique l’intéressait beaucoup moins que les Études de la nature, de Bernardin de Saint-Pierre, et que l’Atala de Chateaubriand, dont la lecture le passionnait. Il se plaisait souvent à dire, lorsqu’il parlait de sa jeunesse, que ces deux ouvrages, ainsi que les Confessions de J.-J. Rousseau et le Jocelyn de Lamartine, paru deux ans après son arrivée en France, avaient eu sur le développement de son talent poétique une influence prépondérante et décisive. Déjà, tout enfant, il avait été vivement impressionné par la beauté mélancolique, et comme recueillie, de la campagne roumaine. Esprit rêveur et contemplatif, âme tendre et délicate, il avait profondément ressenti l’attrait mystérieux qu’exerce sur le Roumain la vue des hautes montagnes, des plaines fertiles, des forêts ombreuses qui font l’ornement et la richesse de son pays. La lecture de Chateaubriand et de Rousseau, ces grands poètes en prose, acheva d’enflammer son imagination et de le détourner de l’étude des sciences. Trop sensible d’ailleurs pour manier le scalpel, il obtint facilement de son père, qui était venu le voir à Paris, l’autorisation d’abandonner la médecine. Le droit, vers lequel il s’était tourné, ne parvint pas à le fixer davantage ; il était