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n’en seront que mieux comprises, et l’on n’en appréciera que davantage, en même temps que l’originalité et la valeur de son œuvre, l’élévation et le désintéressement de son caractère.

Lorsqu’en 1844 parurent, dans une revue littéraire moldave, les premières poésies d’Alecsandri, il y avait un peu plus de vingt ans que les Roumains, délivrés du joug phanariote, qui leur avait été si pesant et si funeste, avaient retrouvé, sous des hospodars indigènes, une ombre d’indépendance et comme un semblant de vie nationale. Mais leur pays avait été soumis, même après la chute des Phanariotes, à trop d’épreuves : guerres, invasions, pillages, occupations étrangères successives, fléaux et calamités de toute sorte, pour qu’il n’en demeurât pas encore tout saignant et tout meurtri ; et d’ailleurs, les princes indigènes, soumis au double contrôle de la puissance suzeraine et de la puissance protectrice, — la Russie, — n’avaient pas l’autorité nécessaire pour gouverner avec énergie ; de leur côté, les boyards, partagés entre le désir de se montrer bons patriotes et la crainte de déplaire aux représentans, tout-puissans à Bucarest comme à Iassi, des gouvernemens étrangers, vivaient dans une atmosphère d’intrigues plus faite pour servir leurs ambitions personnelles que les intérêts de leur pays ; la bourgeoisie n’existait encore qu’à l’état de clientèle servile des boyards ; on ne pouvait rien attendre de la classe des commerçans et des marchands qui, presque tous étrangers, n’avaient quelque influence que grâce à l’appui des consuls dont ils relevaient ; quant au peuple, écrasé d’impôts, réduit presque au servage, croupissant dans l’ignorance et dans la misère, exploitée la fois par les propriétaires, les fermiers et le fisc, il ne comptait pas.

Le tableau est moins sombre, si l’on envisage le mouvement intellectuel et littéraire qui avait commencé à se dessiner dans les Principautés, sous les premiers princes indigènes. Déjà, au temps des Phanariotes, et malgré leurs efforts persévérans et systématiques pour tout gréciser en Roumanie, quelques hauts prélats, des professeurs, des poètes, animés d’un ardent patriotisme, avaient fait de louables tentatives pour remettre en honneur la langue roumaine, qu’on n’enseignait plus que dans les écoles des villages. C’est ainsi que, sous l’active impulsion des métropolitains Grégoire et Daniel, de Valachie, Jacob et Benjamin, de Moldavie, les traductions en roumain des livres religieux, — écrits jusqu’alors en slavon et en grec, — s’étaient