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mais l’homme du peuple, au lieu de cela, est un faible, il a besoin d’être protégé, aidé, soutenu. Il cherche quelqu’un qui le soutienne, ou quelque chose. Mon étonnement, à moi qui ne suis pas du tout royaliste, a toujours été que le peuple ne le fût point. Au fond, ne vous y trompez pas, il l’est toujours. Il l’est en ce sens que s’il ne demande pas un roi, il demande un gouvernement paternel, ce qui est tout à fait la même chose. Il l’est en ce sens qu’il demande que l’Etat, par la loi, intervienne dans ses affaires pour le protéger et lui faire un sort moins dur. Et c’est du royalisme sous un autre nom ; c’est de l’Etatisme. Le peuple est toujours étatiste et il serait tout à fait étonnant et invraisemblable qu’il fût autre chose.

Quelquefois, il faut y songer, il ne l’est point ; c’est quand il fait de l’associationisme, du corporatisme, du syndicalisme, comme vous voudrez. Alors il n’est pas étatiste, pas du tout ; mais il n’est pas individualisa non plus. Il n’est ni étatiste, ni individualiste. Il est… M. Dicey a des pages de maître sur ce sujet. Dans l’associationisme, fait-il très bien remarquer, l’homme du peuple ne demande pas à l’Etat de diminuer sa liberté pour lui faire un sort moins dur ; il la diminue lui-même pour se donner de la sécurité ; ce gouvernement paternel dont il a toujours besoin, et dont il est toujours partisan parce qu’il en a toujours besoin, il se le donne à lui-même, en quoi, du reste, il a bien raison ; et ce n’est pas du tout la liberté qu’il recherche, dont il n’a cure, la liberté n’étant que le besoin des forts pour être plus forts et non celui des faibles pour être moins faibles. Etatiste ou syndicaliste, l’homme du peuple poursuit donc son idée du gouvernement paternel qui n’est aucunement celle du libéralisme. Le benthamisme est bourgeois, le libéralisme est bourgeois.

Il y aurait bien des moyens, et je crois les connaître, pour que le libéralisme, sans se nier, sans se démentir, sans donner dans son contraire, à savoir dans l’Etatisme, suffit au peuple, et lui assurât une destinée très favorable, et ces moyens rentrent précisément dans l’associationisme bien entendu et réglé dételle sorte qu’il fût paternel, ou plutôt fraternel, sans pouvoir devenir despotique ; mais d’abord, ce n’est point ce dont j’ai à m’occuper aujourd’hui ; et ensuite, historiquement il est vrai qu’il n’y a jusqu’ici que les classes moyennes, par tous pays, qui se soient souciées du libéralisme. Le benthamisme devait donc, — ou doit