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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/680

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D’autre part, il ne contient pas le républicanisme ; car une loi tendant à assurer le plus grand bonheur du plus grand nombre peut exister sans un roi, comme sous un roi ; et une loi qui ne limite la liberté de celui-ci que par la liberté des autres peut exister sans un roi, comme sous un roi ; et enfin la démocratie libérale peut exister sous un roi, pourvu qu’il soit constitutionnel, et ce serait la démocratie royale dont les Français ont rêvé en 1789-1790.

Le benthamisme ne choquait pas les sentimens religieux de la majorité du peuple anglais. Au contraire, à plusieurs points de vue. Il était individualisme au suprême degré ; or la religion de la majorité des Anglais était une religion essentiellement individualiste et il y avait parité entre ces deux formules : Je suis le meilleur juge de mon propre bonheur ; je suis le meilleur juge de ma meilleure croyance. Il y avait même un a fortiori : si mes chefs religieux m’ont déclaré le meilleur juge de ma meilleure croyance, d’autant plus je dois être tenu pour juge de ma meilleure façon d’être dans la vie.

De plus, le sentiment religieux de la majorité des Anglais trouvait pleine satisfaction dans ce principe benthamien que le but de toute loi est le bonheur du plus grand nombre, ce qui est un axiome de charité ; et le chrétien anglais pouvait dire : L’Anglicanisme est la religion religieuse de l’Angleterre et le benthamisme est la religion civile de l’Angleterre. Le benthamisme satisfaisait l’esprit et aussi le cœur d’un très grand nombre d’insulaires.

Il eut le succès que l’on sait ; immense ; et l’on peut même dire que ce succès n’est pas épuisé et que le benthamisme est encore en Angleterre ce qui règne le plus. Cependant, remarquez. A qui s’ajustait-il, à qui s’adaptait-il le mieux ? Qui couvrait-il le mieux ? comme disent les Allemands. Les hommes des classes moyennes. L’homme de classe moyenne, du reste intelligent, actif et ambitieux, de quoi a-t-il besoin ? De liberté, c’est-à-dire de n’être pas gêné dans l’expansion de son activité soit proprement intellectuelle (répandre ses idées), soit industrielle, commerciale, artistique, etc. Il est fort, de demi-force au moins. Qu’on ne le gêne pas et qu’on lui laisse faire son trou, sans du reste qu’il empêche personne de faire le sien, voilà précisément son idéal.

L’homme du peuple, je ne dis pas précisément au contraire,