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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/684

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naturellement à absoudre tous les abus présens ; l’historien dit très facilement : « Cela ne me plaît pas ; mais cela doit être. — Pourquoi ? — Parce que cela est. »

Deuxièmement, l’esprit historique combat, tend à combattre, à infirmer plutôt, ce que le benthamisme contient de démocratie. L’esprit historique voit des races très différentes et des espèces très différentes entre les hommes ; et qu’il les voie, cela le porte à les exagérer. Il peut donc amener celui qui en est pénétré à peu d’enthousiasme pour une doctrine qui, voulant le bonheur de tous les hommes par les mêmes moyens, suppose, comme principe au moins, la quasi-égalité et la quasi-similitude de tous les hommes. Les abolitionnistes de l’esclavage auraient-ils eu une fermeté si indomptable « s’ils n’avaient pas été soutenus par une foi inébranlable dans la ressemblance essentielle de tous les êtres humains ? » Or cette foi, c’est ce que n’a pas, généralement, l’historien.

Enfin le benthamisme est naturellement à tendances un peu cosmopolites, ou plutôt à un état d’esprit un peu cosmopolite, ses aspirations au bonheur du plus grand nombre n’ayant aucune raison de se limiter et circonscrire aux frontières d’une patrie, tandis que l’historien n’est pas forcément nationaliste sans doute, mais le devient par un retour sur lui des sentimens qu’il fait naître et qu’il propage parmi les masses. L’historien crée du nationalisme, ne fût-il pas du tout nationaliste lui-même. « Le nationalisme, c’est-à-dire la conviction enthousiaste que les habitans d’un pays doivent être exclusivement gouvernés par des hommes de leur race ou supposés de leur race, a été évidemment rendu plus intense par la prédominance de l’esprit historique, comme aussi, par réciprocité, il a donné prestige nouveau et vigueur nouvelle à l’emploi de la méthode historique. » Encore autant de perdu pour le benthamisme, qui est une sorte de religion universelle de la liberté, une sorte de catholicisme de la liberté et qui est battu en brèche par cette idée évidemment dominante dans tout cerveau de nationaliste : plutôt être mal gouverné par gens de chez moi que bien gouverné par un étranger ou par des idées étrangères.

Et ne dites pas que ce soit là un paradoxe ou une puérilité que nous prêtons aux nationalistes : de 1815 à 1830 l’Anglais était anti-libéral surtout parce que le libéralisme était idées françaises ; et précisément à la même époque ce que beaucoup