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Soleille en particulier, écrasé de douleur par la perte récente d’une femme qu’il adorait, s’était affaibli et disait : « Puisque l’Empereur abandonne Rome, Dieu l’abandonnera. » L’intendant de Metz, Friant, emphatique, rude, mais remarquablement actif, intelligent, se montrait homme de ressource. A Strasbourg, Curnier de Lavalette était un intendant archaïque, mais très consciencieux et rompu aux difficultés de sa fonction.

En somme, les chefs de notre armée offraient toutes les garanties de vaillance, de dévouement, d’abnégation et d’expérience de la guerre qu’on peut souhaiter en des chefs de troupe. Mais quel serait le généralissime qui les animerait du feu sacré, tirerait d’eux tout ce qu’ils étaient disposés à donner, susciterait leur initiative et les mènerait à la victoire ? Quel serait le commandant suprême, digne de conduire de tels divisionnaires ?


III

A quoi servent les préparatifs matériels les mieux entendus, si l’armée, n’ayant pas à sa tête un chef capable de la commander, le plus nécessaire fait défaut ? Omnia hæc frustra præparassemus, nisi qui illa regeret fuisset[1]. Le principal ressort de la victoire et la force suprême de l’armée, c’est le général en chef. Non que la valeur des soldats soit de mince importance, mais elle reste vaine, si elle n’est pas employée par l’intelligence et la volonté puissantes d’un véritable chef. Les meilleures troupes sans un bon général, si ce n’est accidentellement, ne peuvent faire que de petites choses[2] : tous leurs avantages d’organisation, de qualité sont paralysés par ce manque essentiel. Les historiens romains ont reconnu que, placée au milieu de populations qui l’égalaient en valeur militaire, en persévérance, en nombre, Rome a prévalu par ses généraux plus que par ses soldats. Ducibus validiorem quam exercitu, rem romanam[3]. De quelque côté que ses capitaines se fussent portés, la victoire les eût suivis. « Ce n’est pas l’armée romaine qui a soumis la Gaule, mais César ; ce n’est pas l’armée carthaginoise qui faisait trembler la république aux portes de Rome, mais Annibal ; ce n’est pas l’année macédonienne qui a été sur l’Indus, mais Alexandre ;

  1. Velleius Paterculus, Hist. Rom., lib. II, cap. III.
  2. Jomini, Guerres de la Révolution.
  3. Tite-Live, lib. II, cap. 39.